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on le fit promener par toute la ville, monté sur un âne et en habits impériaux, au milieu d’une troupe d’histrions qui l’accablaient d’insultes et de railleries ; puis on lui trancha la tête. Ce bel exploit terminé, Placidie et son fils partirent pour Rome, où le jeune césar devait recevoir des mains d’Hélion, en présence du sénat, le manteau augustal avec le complément des pouvoirs impériaux. Ils étaient encore en route, quand un message leur annonça l’arrivée d’Aëtius et la défaite de l’arrière-garde des troupes orientales. En effet, le troisième jour après l’exécution de Joannès, le curopalate déboucha des Alpes à la tête de soixante mille Huns, et culbuta une division de l’armée de Placidie qui lui fermait le passage. Apprenant alors la catastrophe de Joannès et la soumission de Rome, qui avait ouvert ses portes aux généraux de Théodose, il arrêta ses hordes et attendit que le nouveau gouvernement entrât en explication avec elles, ou que lui-même vît clair à prendre un parti.

C’était un homme redoutable de toute façon que celui qui venait jeter ainsi, quoique un peu tardivement, soixante mille barbares dans la balance de la fortune. Né à Durostorum, dans la petite Scythie, province romaine du bas Danube, primitivement peuplée de Scythes, c’est-à-dire de Sarmates et de Slaves, Aëtius était, comme Stilicon, un nouveau Romain, et il rappela son histoire sans lui ressembler. De ces deux Romains, l’un Sarmate, l’autre Vandale, la différence originelle se trahissait aux yeux par une manière toute différente d’être Romain. Le grand et infortuné Stilicon offrait dans son caractère quelque chose des habitudes calmes et réfléchies des races occidentales : l’allure d’Aëtius, mélange de souplesse et d’impétuosité, de ruse et d’audace, dénotait au contraire les races de l’Orient. Si celui-ci manquait de l’élévation morale et des illusions enthousiastes qui firent le mérite et le malheur du tuteur d’Honorius, s’il se souilla par des violences et des fourberies que l’autre ne connut jamais, peut-être en revanche fut-il mieux approprié à son temps, plus apte à tirer parti d’un empire corrompu, pour le servir en le maîtrisant.

Son père descendait des anciens chefs du pays. Ayant changé son nom scythe pour le nom latin de Gaudentius et porté les armes sous l’aigle romaine, il parvint de grade en grade à la maîtrise de la cavalerie et vit sa fortune comblée par un mariage italien ; puis il alla périr en Gaule dans une émeute de soldats. Intelligent, hardi, général par instinct, le fils attira, tout enfant, l’attention de Stilicon, qui le plaça comme otage près d’Alaric, alors campé en Épire ; les mêmes qualités lui valurent l’affection de ce barbare déjà célèbre. Un poète du temps se plaît à nous peindre le futur vainqueur de Rome devenu, par amusement, le naître et l’instructeur du jeune otage, le formant au tir de l’arc, au maniement de la lourde pique des Goths, « attachant un grand