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dont le paganisme était alors infecté. En un mot, l’arianisme renfermait dans son principe, comme une conséquence logique inévitable, la dissolution de la religion chrétienne, et cette conséquence se produisit dans plusieurs sectes ariennes du vivant même d’Arius. Quant à l’église, il la dissolvait de fait en autant d’églises particulières que de docteurs, sans qu’aucune d’entre elles eût le droit de se déclarer exclusive et obligatoire. Pouvait-on fonder sur cette anarchie une institution de l’état, c’est-à-dire un gouvernement des croyances et des mœurs ? Pouvait-on associer la puissance publique aux incertitudes et aux contradictions de la raison individuelle ? Pour les Romains, qui comprenaient tout autrement que nous les liens réciproques de la politique et de la religion, l’arianisme ne pouvait servir de base à une institution forte et durable. Le catholicisme, au contraire, par l’inflexibilité de son symbole et par l’élévation mystérieuse de son premier dogme, répondait aux idées et aux besoins de leur politique religieuse.

Ce n’était pas encore tout, et, si la constitution d’une église unitaire devait sauver le christianisme, elle n’importait guère moins au salut matériel de l’empire. Depuis le déclin de sa puissance militaire, l’empire n’exerçait plus hors de ses limites qu’une action morale, laquelle, il est vrai, s’était accrue de tout le domaine des sentimens religieux. Il possédait toujours, comme au temps de Tacite, ses arts, ses vices et toutes les fascinations de la vie civilisée, pour attirer et dompter les barbares ; mais il avait gagné depuis lors quelque chose de mieux, et le christianisme était au Ve siècle son instrument d’assimilation le plus énergique. Chose singulière, cette religion où Rome païenne s’obstinait à voir sa mortelle ennemie, et qu’elle poursuivait encore par les invectives de ses orateurs, après l’avoir poursuivie long-temps par la main de ses bourreaux, le christianisme était maintenant sa sauvegarde aux avant-postes de la barbarie : là où ne se montraient plus les légions romaines, la propagande chrétienne allait conquérir au profit de Rome. Une peuplade barbare devenue chrétienne devenait aussi en grande partie romaine par le seul fait de sa conversion il se créait tout aussitôt entre elle et la société civilisée un fonds commun d’idées et de sentimens, de pratiques et de besoins moraux, qui ne faisaient que s’étendre et fructifier avec le temps. Bien plus, le barbare converti entrait vis-à-vis de l’empire en rapports de sujétion ; il en recevait des prêtres et des évêques, il en recevait, par la voie des conciles, sa loi morale et l’interprétation de ses croyances ; lui-même était représenté par ses évêques dans les grandes assemblées de la chrétienté romaine ; il y siégeait, il y délibérait à son tour sur les lois religieuses des Romains, c’est-à-dire que le plus fier et le plus obstiné barbare, au lendemain de sa conversion, se trouvait, pour une grande partie de son existence morale, un sujet ou un citoyen de l’empire.