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maître, que les tribus maures accoururent à lui, et le pillage des colonies romaines commença : triste présage du sort qui attendait sous peu de temps toute l’Afrique, entre la révolte des indigènes et la pression des barbares étrangers ! Quand ces nouvelles arrivèrent en Italie, l’effroi n’y fut guère moindre que dans les villes africaines sur lesquelles planait la destruction. Les provinces consternées crurent voir se lever le dernier jour de l’empire. L’éloquent prêtre de Marseille, Salvien, s’écriait, dans son langage coloré comme celui des prophètes : « L’ame de la république est tombée captive des barbares ! »

Alors seulement de part et d’autre on songea, bien qu’un peu tard, à s’expliquer. Les gens sensés, qui sont toujours les derniers à avoir raison, répétaient depuis deux ans que la conduite de Bonifacius cachait un mystère incompréhensible, qu’un homme digne toute sa vie de l’estime publique ne se serait point dégradé en un instant, qu’un défenseur si courageux de la régente ne l’aurait point trahie et combattue sans une cause qui n’était point encore éclaircie. Ces réflexions si simples, on finit par les trouver justes. Les amis de Bonifacius firent partir secrètement pour l’Afrique deux hommes auxquels il pouvait se confier sans réserve : l’un d’eux était le comte Darius, que nous connaissons par sa correspondance avec saint Augustin. C’était, à en juger par ses lettres, un courtisan aimable, insinuant, poli jusqu’à l’excès, un lettré subtil et recherché suivant la mode de son temps, mais un homme bienveillant et pacifique, et un bon chrétien, sauf quelques retours de paganisme auxquels il se laissait aller en sa qualité de bel esprit, admirateur des anciens. On ne mettait guère le pied en Afrique sans visiter Augustin, ou sans chercher une occasion de communiquer par lettres avec lui, tant son importance était grande. À peine débarqué à Carthage, Darius chargea quelques évêques de le saluer de sa part ; celui-ci répondit à cette avance par une lettre écrite d’Hippone et qui commença leur liaison. Cette lettre, que nous avons encore, fait allusion en termes obscurs et mesurés à la mission délicate qui amenait le comte Darius de ce côté de la mer. « Quand on m’a fait ton portrait, lui disait-il, le portrait de ton ame, non de ta chair, je l’ai reconnu pour l’avoir vu dans le saint Évangile, où nous lisons ces paroles faites pour toi : « Heureux les pacifiques, parce qu’ils seront appelés enfans de Dieu ! » Il est certes glorieux de vaincre par son courage, à force de fatigues et de dangers, un ennemi indomptable, et d’assurer le repos aux provinces troublées de sa patrie ; mais il y a plus de gloire à tuer la guerre elle-même avec la parole qu’à tuer des hommes avec le fer, à conquérir la paix par la paix qu’à l’obtenir par la guerre. Que Dieu confirme ce qu’il a opéré par toi au milieu de nous ! »

Darius lui répond que, s’il n’a pas encore tué la guerre, il espère l’avoir suspendue et éloignée, et que, Dieu aidant, les affreuses calamités,