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étrange, que, si les eaux intérieures qui maintiennent le havre de Carteret étaient conduites par un canal navigable dans le havre de Port-Bail amélioré, le dernier ne serait pas celui des deux qui gagnerait le plus à cette disposition. Le commerce de bétail qui finira par s’établir à Port-Bail exercera sur le desséchement des marais du Cotentin une influence qui s’étendra sur un groupe adjacent de 2,450 hectares de mielles, et nulle part peut-être l’impulsion donnée à l’agriculture par la navigation ne sera plus énergique qu’ici.

Au nord du cap Carteret, la côte change d’aspect ; les collines s’élèvent, se mamelonnent et se rapprochent de la mer. Les sables amoncelés par les vents du nord contre le cap lui-même le dominent et coulent par-dessus dans le chenal de Carteret. Ces dunes escarpées sont celles d’Hattainville, et le groupe de 400 hectares qu’elles forment est de ceux dont le boisement importe le plus à la navigation. Si l’on voulait assainir et consolider 600 hectares de mielles qui restent entre ces dunes et la pointe du Rosel, la petite crique de Surtainville serait le meilleur débouché à donner aux eaux douces qui divaguent sur la plage.

C’est cette crique perdue qui recueillit en 1649 les fils proscrits de Charles Ier, dont la destinée était d’être rois malheureux à leur tour[1]. Peu de rivages conservent le souvenir d’autant d’infortunes royales que celui du département de la Manche. En 1109, les seuls héritiers directs de Guillaume-le-Conquérant se noyaient en sortant de Barfleur à la suite d’Henri Ier, leur père ; en 1147, Mathilde, reine d’Angleterre et veuve de l’empereur Henri V, abordait en fugitive à Cherbourg ; en 1692, Jacques II assistait des hauteurs de la Hougue à la perte de la bataille où se décidait le sort de sa couronne ; en 1830, le roi Charles X s’embarquait à Cherbourg ; en 1848, Mme la duchesse de Nemours prenait à Granville le cotre Alexandrina, le plus mauvais des îles de la Manche, pour fuir sa patrie adoptive. Sa douleur, son courage et sa beauté l’avaient fait reconnaître ; elle ne pensait point à elle-même, mais elle voulait à tout prix écarter le sort d’Astyanax de la tête de ses enfans ; résistant donc aux loyales supplications dont elle se vit entourée, elle confia sans hésiter sa jeune famille à une mer furieuse, et partit accompagnée des regrets et des vœux de toute la population.

Plus loin, le cap de Flamanville et le Nez de Jobourg ressemblent à des bornes de granit dressées contre les coups de l’Océan. L’anse de Vauville, qui s’enfonce entre eux, a 16 kilomètres d’ouverture sur 6 de profondeur ; les bâtimens y viennent attendre au mouillage, ou en courant de petites bordées, l’instant favorable pour franchir le raz Blanchart. Le port de Diélette est le seul abri clos qui s’y trouve. Construit par le marquis de Flamanville, sous l’impression des souvenirs de la

  1. Mémoire sur la généralité de Caen. 1698. Mss.