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vers les barbares. » Aëtius fut inflexible ; il laissa tomber un membre inutile, pour concentrer la vie au cœur.

Dans cette reconstitution militaire et politique du diocèse des Gaules, le patrice semblait se hâter, comme sous l’aiguillon d’un danger prochain. Tous les regards se tournaient avec inquiétude vers la vallée du Danube, et Aëtius, plus que personne, devait se préoccuper des événemens dont le pays des Huns était alors le théâtre. Le roi Roua, mort en 434, avait emporté avec lui les bonnes dispositions de son peuple pour les Romains. Son neveu Attila, qui lui succédait et qu’un fratricide rendit bientôt seul souverain de l’immense domination des Huns, travaillait à plier sous un joug unitaire ces nombreuses tribus ; jusqu’alors indépendantes, qui avaient chacune son chef, ses vassaux et ses sujets. Les moindres actes du nouveau prince décelaient à tous les yeux une ambition insatiable et cruelle ; mais Aëtius en savait davantage ; il connaissait, par des rapports personnels qui dataient de leur enfance, sa haine profonde contre les Romains et la grandeur de son génie sauvage ; il savait que, si Attila voulait, à force de guerres et de crimes, construire un empire de la barbarie, c’était pour le précipiter sur l’empire de la civilisation et mettre celui-ci en débris. Les Huns, depuis dix ans, avaient appris le chemin de la Gaule ; une de leurs tribus s’était avancée, en 436, jusqu’à la forêt Hercynienne, et avait battu les Burgondes près des bords du Rhin, et l’émotion causée par cette apparition restait vivante dans tous les esprits. Les Franks transrhénans avaient déjà formé avec eux des alliances qu’ils pouvaient invoquer un jour contre l’empire romain ; mais ce qui était plus triste encore, c’est que les Bagaudes semblaient reprendre confiance et compter sur une invasion prochaine pour recommencer la guerre civile. On sut même, en 448, qu’un de leurs chefs secrets, nommé Eudoxius, médecin habile, mais esprit pervers et malfaisant, disent les historiens, venait de se rendre près d’Attila pour le solliciter d’entrer en Gaule. À ces indications, par malheur trop réelles, se joignaient de prétendus prodiges, des pronostics qui ajoutaient à la peur. Deux comètes se montrèrent à peu d’années d’intervalle ; des secousses de tremblement de terre se firent sentir en Espagne et en Gaule, et, dans le spectacle inaccoutumé d’une aurore boréale, les peuples crurent voir des armes étinceler au ciel, des légions fantastiques se choquer, et les nuages verser des fleuves de sang. L’effroi n’était pas moindre en Italie.

Que faisait Placidie pendant que les dangers s’accumulaient ainsi autour de l’empire ? Résignée au joug de son maître des milices, elle croyait encore régner, parce que son fils portait le diadème, et qu’on la saluait du nom d’Augusta. La poésie de ses jeunes années s’était évanouie avec elles. La veuve d’Ataülf, en vieillissant sur le trône, était devenue une souveraine vulgaire, partagée entre une dévotion