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à l’œuvre leurs facultés mêmes ; elle nous dévoile leurs idées générales, celles dont toutes leurs opinions ne sont que des modulations ; elle nous permet enfin de saisir sous leurs idées tous ces mobiles plus mystérieux, tous ces instincts, ces goûts, ces affections, qui jouent un si grand rôle dans les actions des hommes, et qu’on daigne à peine cependant regarder comme des réalités positives, parce qu’ils ne sont pas des conceptions de l’esprit.

Dans le cas de l’Angleterre, la confession me paraît d’ailleurs offrir un intérêt particulier. Les poètes de l’Italie ou de l’Espagne, par exemple, ne nous révéleraient guère qu’un état intellectuel et moral que nous avons déjà traversé nous-mêmes ; ceux de l’Angleterre au contraire, les derniers surtout, attestent, à mon sens, un mouvement d’idées tout nouveau dans l’histoire, et qui est peut-être la seule condition possible de vie pour les nouvelles institutions de nos sociétés. En tout cas, ce qu’ils reflètent est une phase d’esprit dont nous soupçonnons à peine l’existence, et qui ne s’est pas encore produite en France.

L’Europe entière avait traduit et imité Byron ; elle l’avait admiré avec passion, probablement parce qu’elle retrouvait chez lui ses propres sensations ; elle est restée indifférente pour ses successeurs, probablement parce qu’elle ne reconnaissait pas chez eux sa propre manière de voir et d’apprécier les choses. Quoi qu’il en soit des causes, le fait certain, c’est que Byron est encore regardé chez nous comme le dernier mot du génie poétique de l’Angleterre moderne. S’il nous est venu quelques échos des réputations plus récentes, ils étaient assez vagues. On n’a pas cherché, que je sache, à rapprocher l’un de l’autre les représentans de la littérature du jour ; on n’a pas tenté de faire ressortir les liens de parenté qui les unissent entre eux, en les distinguant tous de l’école byronienne, et naturellement ils nous apparaissent un peu comme des copies effacées de Byron, comme des variétés dégénérées de son espèce.

Rien de moins vrai pourtant, et je pourrais l’ajouter, rien de moins fondé, dans un sens, que le jugement porté jusqu’ici sur l’auteur de Don Juan. À l’apogée même de sa gloire, on sait quelles réprobations il avait soulevées. Depuis lors, trente années se sont écoulées, et elles ont prouvé que les susceptibilités qu’il froissait étaient bien les instincts vivaces de son pays. Dans la politique et les mœurs, dans les romans et les livres de science, partout enfin s’affiche une tournure d’intelligence dont il était comme la négation, et qui chaque jour s’éloigne davantage de lui. Le goût général a suivi la même direction. Après sa poésie, ce n’est pas le vide qui est venu, c’est une autre poésie toute différente, et qui lui est évidemment supérieure du moins par sa substance. Question de forme à part, ses amours et ses haines, ses jugemens et ses évaluations sont comme les fruits d’une saison plus mûre.