Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/354

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elles avaient montré un besoin plus marqué de parler comme ils pensaient, une répulsion plus irrésistible pour tout ce qui contredisait leur propre expérience. Même chez ceux du XVIIIe siècle, il y avait encore du George Crabbe plutôt que du Florian. Chez les modernes, à partir de Wordsworth, les instincts de leur race sont devenus un parti-pris ; ils ont franchement rompu avec l’art des gracieux mensonges, et sans contredit ils ont métamorphosé la muse en lui apprenant à exprimer des émotions réellement éprouvées.

À cet égard, je le répète, Byron ressemblait aux lakistes, comme MM. Tennyson et Browning lui ressemblent. S’il n’avait pas toujours le sérieux de la pensée, il avait celui de la passion, et avec cette sincérité-là on ne saurait nier qu’il n’ait créé un genre neuf et puissant. Tandis que Walter Scott s’associait au mouvement historique qui avait pris naissance en Allemagne, lui resta plus Anglais. À sa manière, il fut un des meilleurs champions de cet autre mouvement tout expérimental qui tendait à ramener la poésie à la source même de toute chose, à l’étude des impressions individuelles. Maladives ou non, ses passions étaient des phénomènes humains. Avec un tact merveilleux, il sut leur donner la parole et la vie : il avait le génie de les couler dans des formes aussi homogènes que complètes, et, comme tel, il gardera, je pense, une belle place parmi les artistes.

Malheureusement pour lui, ce n’est là qu’un côté de la médaille. Si l’on creuse sous son éloquence, on aperçoit des sensations et des exaltations qui sont loin de dénoter le grand penseur ou le grand cœur. Telle qu’il l’a faite, la poésie intime rappelle beaucoup ce que la littérature pittoresque est devenue chez nous : elle donne assez l’idée d’un lendemain de révolution ; elle respire le vieux culte de l’effréné, cette folie anabaptiste qui couve sans cesse dans les bas-fonds, et qui a déjà reparu sous tant de formes. Autrefois les frères du libre esprit en avaient fait une doctrine religieuse ; Schiller, dans sa jeunesse, l’avait mise en drames ; le romantisme l’a mise en dithyrambes, Pigault-Lebrun et ses pareils en plaisanteries. La thèse, pour cela, n’a pas cessé d’être la même. L’idéal pour les uns était le bon curé qui ne condamnait rien, ou le viveur sans foi ni loi qui avait bon cœur ; l’idéal des autres était la femme sans foi ni loi qui savait aimer avec le plus d’emportement. L’idéal de Byron, c’était le Lara, le corsaire ou le Childe-Harold. Toujours la glorification de l’instinct et le mépris de toutes les règles