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que l’homme peut et doit s’imposer ; toujours l’idée (si idée il y a) que l’instinct doit être notre seul guide comme il est notre seule Providence, et que les bons instincts sont la seule vertu, comme les instincts fougueux sont la seule grandeur. Le sens de cette doctrine est assez clair. Glorifier le dérèglement, c’est dire qu’on a soi-même plus de tempérament que de réflexion. Byron en effet en était à peu près là. Je vois chez lui en abondance des élans et des dépits, j’y découvre beaucoup d’aspirations généreuses et d’intuitions brillantes. Ce que je n’y trouve pas, c’est l’élévation morale et la largeur de l’esprit, ce sont les vues d’ensemble, les sentimens ou les idées qui ne sont pas des improvisations, tuais des conclusions recueillies. Tête et cœur, il est comme un pays qui n’aurait pas de représentation à poste fixe pour empêcher qu’il fût tour à tour entraîné par tel ou tel de ses élémens.

Jusqu’à quel point, ce byronisme représentait-il l’état des esprits autour du poète ? Je ne sais trop. Au fond, je serais porté à croire que de tous les pays de l’Europe ce fut la patrie de Byron qui resta le plus à l’abri de la contagion ; toujours est-il que, si la raison et la morale publique y firent bonne défense, le goût général au moins y eut ses années d’ivresse. La passion était à la mode. Les poètes aimaient à emprunter leurs héros à l’Italie, à l’Espagne ou à l’Orient. Les femmes même, miss L.-E. Landon entre autres, se tournaient avec admiration vers ces terres promises de l’amour sans frein et de la haine sans mesure. La lyre intime d’ailleurs, et c’était elle qui avait la vogue, n’avait à peu près que deux cordes : le désir enivré d’espérance ou le désir déçu.

En bonne justice, que valait cette poésie populaire ? que valait-elle du moins comme intelligence et comme sentiment ? M. Henry Taylor lui a reproché de n’être qu’une ébullition de jeunesse : il a dit vrai, je pense. Rêves d’amour ou rêves de sociétés modèles, chagrins d’amour ou colères humanitaires, c’est tout un : c’est l’épopée du jeune homme qui débute, et qui, faute de savoir, passe son temps à faire des souhaits, à adorer des fantômes et à s’emporter contre les réalités.

On croyait tout changer, on voit que tout demeure ;
Railler, maudire alors, amer et violent !…


C’est ce qu’a fait Byron, c’est ce que nos poètes font encore, ou, s’ils ne le font pas, ils se taisent. Il n’y a pas si long-temps que M. Sainte-Beuve paraphrasait encore la désolante pensée qu’après la jeunesse l’unique ressource du poète est de continuer à railler ou de garder le silence. Triste alternative ! Si pour la poésie française elle était en effet la seule, il faudrait en conclure que la jeunesse est pour nous ce que l’enfance est pour le nègre, la veille de la décrépitude ; car en réalité les blasphèmes et les aigreurs à la Byron signifient simplement