Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/409

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’arbitre du goût et des élégances, comme dit Horace. Quand parurent les deux fameux sonnets de Benserade et de Voiture sur Job, toute la cour prit parti pour Benserade ; mais Mme de Longueville, s’étant déclarée pour Voiture, ramena tout le monde à son sentiment[1]. L’esprit simple et mâle du grand Condé se serait également moqué des deux sonnets et des deux auteurs. Et il faut bien qu’à ce moment de sa vie, vers 1647 et 1648, à son retour de Munster et avant la fronde, dans les premiers jours de sa liaison avec La Rochefoucauld, Mme de Longueville ait cédé au goût dominant, et qu’elle ait été un peu précieuse, car Mme de Motteville, en relevant « la beauté principale de son esprit, qui consistoit en la délicatesse des pensées, » l’accuse d’affectation, ajoutant bien vite, comme pour s’excuser de trouver des taches à une personne aussi accomplie : « Tous les hommes participent à cette boue dont ils tirent leur origine, et Dieu seul est parfait. »

On s’accorde à reconnaître qu’elle causait divinement, avec un mélange exquis de vivacité et de douceur. Le charme de sa conversation doit avoir été quelque chose de bien extraordinaire pour avoir survécu à sa jeunesse et à la vie mondaine, et subsisté jusque dans la dévotion et la pénitence. L’écrivain janséniste qui nous a laissé un portrait, ou, comme on disait alors, un caractère de Mme de Longueville[2], n’hésite pas à la comparer et presqu’à la préférer à l’un des hommes les plus spirituels et des causeurs les plus célèbres du XVIIe siècle, M. de Tréville. « C’étoit une chose à étudier que la manière dont Mme de Lorigueville conversoit… Elle disoit si bien tout ce qu’elle disoit, qu’il auroit été difficile de le mieux dire, quelqu’étude que l’on y apportât. Il y avoit plus de choses vives et rares dans ce que disoit M. de Tréville, mais il y avoit plus de délicatesse et plus d’esprit et de bon sens dans la manière dont Mme de Longueville s’exprimoit. »

Mais parler et écrire sont deux choses toutes différentes, qui demandent des cultures particulières, et comme l’étude manquait à Mme de Longueville, il y paraissait dès qu’elle prenait la plume. Ses grandes qualités naturelles avaient peine à se faire jour à travers les fautes de tout genre qui échappaient à son inexpérience. Ce n’est pas en effet une petite affaire que d’exprimer ses sentimens et ses idées dans un ordre naturel, avec leurs nuances vraies, en des termes ni trop recherchés ni trop vulgaires, qui ne les exagèrent ni ne les affaiblissent. Il n’est pas très rare de rencontrer dans le monde des hommes pleins d’esprit, de verve et de grace lorsqu’ils parlent, et qui deviennent méconnaissables la plume à la main. C’est qu’écrire est un art, un art très difficile, et qu’il faut avoir appris. Mme de Longueville l’ignorait tout-à-fait,

  1. Villefore, p. 81.
  2. Plus haut, p. 397.