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n’a écrit que des lettres, elle n’a pas fait de livre, je doute même qu’elle eût pu en faire, et je ne l’imagine pas composant un roman ni un ouvrage quelconque, si ce n’est peut-être des mémoires et des satires, comme son cousin Bussy ou Saint-Simon, ou bien des traités de théologie, comme sa fille, Mme de Grignan[1]. Il n’en est point ainsi de Mme de La Fayette. Ce n’est pas seulement une personne de beaucoup d’esprit et de beaucoup d’instruction, c’est un auteur. Il n’est pas surprenant qu’elle sût écrire, puisqu’elle en faisait profession. Une politesse exquise est son trait dominant, et il est permis de le rapporter un peu à la discipline littéraire qu’elle garda bien plus long-temps que son amie ; d’ailleurs n’écrivant pas un mot sans le soumettre à ce même Ménage, à Segrais, qui logeait chez elle et lui prêtait, sinon sa plume, au moins ses conseils et son nom, à Huet, à La Rochefoucauld, Mme de La Fayette est très supérieure assurément à Mme de La Suze, à Mme de Brégy, à Mme Deshoulières, à Mlle Scudéry, à Mme d’Aulnoy, à Mme Lambert, mais elle est de leur famille. Quoiqu’elle ait passé sa vie avec Mme de Sévigné, elle en diffère essentiellement, et elle appartient à un tout autre monde que Mme de Longueville.

Pour revenir à celle-ci, en restant dans la vérité la plus rigoureuse, en mettant de côté l’unanime admiration de ses contemporains, et en l’appréciant seulement sur ce qui nous reste d’elle, mesure bien sévère et médiocrement juste, puisque Mme de Longueville est loin d’être tout entière dans ce qu’elle a écrit par hasard et à la hâte, on peut dire encore que son esprit est véritablement du premier rang, mais qu’il est celui d’une femme, d’une grande dame, d’une princesse fort paresseuse, comme la peignent Retz et Mme de Motteville, qui n’a pas pris le moindre soin des facultés qu’elle a reçues, et qui laisse paraître indistinctement ses qualités et ses défauts, qui sont aussi les qualités et les défauts du temps où elle est venue, à savoir, une grandeur inculte ; une délicatesse souvent raffinée, avec une perpétuelle négligence.

S’il y a de la femme dans l’esprit de Mme de Longueville, son ame surtout est au plus haut point féminine, et, loin de l’en accuser, je l’en loue. Oui, Mme de Longueville est de son sexe ; elle en a les qualités adorables et les imperfections bien connues. Dans un monde où la galanterie était à l’ordre du jour, cette jeune et ravissante créature, mariée à un homme déjà vieux et même occupé ailleurs, suivit l’exemple universel. Naturellement tendre, les sens, elle-même le dit dans la confession la plus humble qui fut jamais[2], n’entraient pour rien dans les démarches de son cœur ; mais, entourée d’hommages, elle s’y complaisait. Aimable, elle mettait son bonheur à être aimée. Sœur

  1. Voyez la dissertation de Mme de Grignan sur le pur amour de Fénelon, au t. X des œuvres de Mme de Sévigné, p. 518, édit. Montmerqué.
  2. IVe série, t. III, p. 201 ; Retraite de Mme de Longueville.