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du grand Condé, elle n’était pas insensible à l’idée de jouer un rôle et d’occuper l’attention ; mais, loin de prétendre à la domination, elle était tellement femme, qu’elle se laissait dominer et conduire par celui qu’elle aimait. Tandis qu’autour d’elle l’intérêt et l’ambition prenaient si souvent les couleurs de l’amour, elle n’écouta que son cœur, et se mit comme au service de l’ambition et de l’intérêt d’un autre. Tous les auteurs sont unanimes à cet égard ; ses ennemis lui reprochent avec aigreur de n’avoir pas eu un but qui lui fût propre et d’avoir méconnu ses intérêts ; ils ne se doutent pas qu’en croyant l’accabler par là, ils la relèvent, et prennent soin eux-mêmes de couvrir sa conduite et ses fautes, qui, après tout, se réduisent à une seule.

Elle a pu être touchée du dévouement de Coligny, qui donna son sang pour la venger des outrages de Mme de Montbazon[1] ; elle prêta[2] un moment une oreille distraite aux galanteries du brave et spirituel Miossens, depuis le maréchal d’Albret ; plus tard, elle se compromit un peu avec le duc de Nemours[3], mais elle n’a aimé véritablement qu’une seule personne, La Rochefoucauld. Elle s’est donnée à lui tout entière : que ce soit là son excuse. Elle a tout sacrifié à La Rochefoucauld, ses devoirs, ses intérêts, son repos, sa réputation. Pour lui, elle a joué sa fortune et sa vie. Elle est entrée dans les conduites les plus équivoques et les plus contraires. C’est La Rochefoucauld qui l’a jetée dans la fronde, qui l’a fait, à son gré, avancer ou reculer, qui l’a rapprochée ou séparée de sa famille, qui l’a gouvernée absolument. En un mot, elle a consenti à n’être entre ses mains qu’un instrument héroïque. Sans doute la passion et l’orgueil ont pu de temps en temps trouver leur compte dans cette vie d’aventures et dans ces périls énergiquement bravés ; mais de quelle trempe était l’ame qui mettait en cela sa consolation ? Et, comme il arrive d’ordinaire, l’homme auquel elle se dévouait n’était pas entièrement digne d’elle. Il avait infiniment d’esprit ; mais il était profondément égoïste, petitement ambitieux, et jugeant des autres sur lui-même, subtil aussi dans le mal comme elle l’était dans le bien, plein de raffinement dans son amour-propre et dans le calcul de ses intérêts, le moins chevaleresque des hommes en réalité, quoiqu’il en affectât toutes les apparences. Aussi, dès qu’il croit que Mme de Longueville a un moment chancelé loin de lui et trop écouté le duc de Nemours, il se retourne contre elle et la poursuit du plus misérable ressentiment. Il la noircit auprès de son frère, il révèle les faiblesses dont il a profité, et quand elle est tout occupée à réparer les torts de sa vie, quand elle les expie par la plus dure pénitence, il fait imprimer à l’étranger des mémoires où il la déchire et qu’il n’a pas même le courage

  1. Voyez plus haut, p. 394, note 1.
  2. C’est La Rochefoucauld qui nous dit cela. Voyez plus bas, p. 410.
  3. Plus bas, p. 413.