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sentimens du cœur à la considération de sa grandeur et de sa fortune. Ce don parut tout entier aux yeux du public, et il sembla à toute la cour que cette princesse le reçut avec beaucoup d’agrément. Dans tout ce qu’elle a fait depuis, on a connu clairement que l’ambition n’était pas la seule qui occupoit son ame, et que les intérêts du prince de Marcillac y tenoient une grande place : elle devint ambitieuse pour lui, elle cessa d’aimer le repos pour lui, et pour être sensible à cette affection, elle devint trop insensible à sa propre gloire… Les vœux du prince de Marcillac, comme je l’ai dit, ne lui avoient point déplu, et ce seigneur, qui étoit peut-être plus intéressé qu’il n’étoit tendre, voulant s’agrandir par elle, crut lui devoir inspirer le désir de gouverner les princes ses frères… »

Ainsi, de l’aveu de tout le monde, le point de vue qui domine et éclaircit toute la conduite de Mme de Longueville dans la fronde est celui-ci : La Rochefoucauld ne cherchant que son intérêt, Mme de Longueville ne cherchant que l’intérêt de La Rochefoucauld.

Il est vraiment extraordinaire qu’elle ait osé se mettre aussi en avant qu’elle fit pour le servir. « Mme de Longueville n’avoit rien oublié pour faire que toutes les graces de la cour tombassent sur la tête du prince de Marcillac… Pour la satisfaire amplement, il falloit agrandir le prince de Marcillac, et ce fut dans cette conjoncture qu’elle eut le tabouret pour sa femme et permission d’entrer dans le Louvre en carrosse. Ces avantages le mettoient au-dessus des ducs et à l’égal des princes, quoiqu’il ne fût ni l’un ni l’autre : il n’étoit pas de maison souveraine[1]… » « Mme de Longueville s’entremit avec plaisir de cet accommodement, et on prétend même que M. de Marcillac en eut de l’argent[2]. » Quel rôle en tout cela que celui de La Rochefoucauld ! Mme de Longueville est au moins désintéressée. À la fois elle s’efface et se compromet, uniquement attentive à servir et à complaire.

Là est la vraie et parfaite unité de sa conduite : elle poursuit le but qu’un autre lui trace avec une constance infatigable, à travers toutes les intrigues, et comme les yeux fermés sur les ressorts particuliers qui meuvent La Rochefoucauld.

Long-temps son aveuglement est entier ; mais comme elle joignait beaucoup de finesse à beaucoup de passion, quand ils étaient un peu de temps séparés et qu’elle n’était plus sous le charme ou sous le joug de sa présence, ses yeux s’ouvraient à demi ; et dans le voyage de Guyenne, ayant rencontré le duc de Nemours qui, à défaut d’une grande capacité, lui offrait tous les caractères de la parfaite chevalerie, et passait alors pour très occupé de Mme de Châtillon, l’absence, le vide qui

  1. Mme de Motteville, t. III, p. 295 et 393.
  2. Mémoires de Mme de Nemours, p. 47.