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marchai droit au coffre, et, m’agenouillant vis-à-vis de la moqueuse, je lui tendis la babouche perdue, qu’elle accepta en se couvrant le front de la main, comme révoltée de mon audace ; puis je sortis, fort mécontent de moi.

De retour à bord, durant le quart de huit heures à minuit, j’eus le temps de songer à mon aventure. En un point, je l’envisageais trop à mon avantage pour oser la confier à d’autres, et cependant j’avais beau m’interroger, la démarche de cette femme ne me semblait pas moins inexplicable. Ce mot Vasiliky me revenait surtout à la mémoire ; il étincelait parmi les étoiles, je l’entendais bruire dans le sifflement des manœuvres. Puisque l’étrangère n’avait prononcé que celui-là, c’est qu’à lui tout seul il était la clé du mystère comme le sésame d’Ali-Baba. En vain je passais en revue les quelques mots grecs qui étaient restés dans ma mémoire depuis le collège, je n’y trouvai rien qui pût m’expliquer ces quatre syllabes Va-si-li-ky. La nuit était avancée, quand le commissaire du bâtiment monta sur le pont pour fumer une cigarette. Le comptable jouissait au poste des aspirans de la réputation d’un très fort politique et d’un cicerone accompli dans ce pays d’Orient, où il avait fait plusieurs campagnes. Incompris des officiers, cet excellent homme honorait les élèves d’une indulgente familiarité. Ceux-ci, tenus à distance du commandant et de l’état-major, écoutaient le commissaire d’autant plus volontiers, qu’ils attrapaient dans ses conversations quelques bribes des nouvelles et des causeries diplomatiques du gaillard d’arrière. Je résolus donc de consulter l’oracle, mais avec finesse et sans lui laisser rien soupçonner. Je lui présentai du feu pour allumer sa cigarette, et je lui demandai d’un ton indifférent s’il n’avait pas oublié le grec.

— Non certainement, répondit-il, et il me récita avec volubilité, pour me convaincre, quelques vers des Racines de Port-Royal.

— Oh ! oh ! commissaire, interrompis-je, ce n’est pas de ce grec-là que j’ai besoin, mais du patois de la Grèce moderne : vous l’entendez, si je ne me trompe ?

— Un vieux marsouin comme moi, qui trotte depuis vingt ans, finit toujours par voir, entendre et savoir. J’ai appris l’espagnol en trois mois ; à la vérité, il est plus facile que le grec : il ne m’a pas fallu moins d’un an pour venir à bout de ce dernier idiome.

— Vous me direz donc ce que veut dire Vasiliky ? J’ai entendu un pécheur insister sur ce mot.

Vasiliky ? un pêcheur, dites-vous ?… Vasiliky est le nom d’un engin de pèche, le filet, si j’ai bonne mémoire.

— Un engin de pêche, un filet ! pensai-je. Que diable cette femme, avec sa robe de soie, ses cheveux perlés, ses babouches roses et ses mains blanches, voulait-elle faine d’un filet ?