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c’était elle, ma porteuse de miel de l’île de Naxos, l’enfant de Démétrius ! A sa voix, je m’élançai sottement pour lui porter secours : par bonheur mes compagnons me saisirent : il était temps, j’aurais été écrasé. Le chef des spahis, las d’attendre que la foule se fût écoulée, perdit patience au bout de deux minutes. Ordonnant à son état-major de prendre en main les bridons terminés par une lanière de cuir, lui-même il donna l’exemple, fit siffler en l’air sa courroie et piqua des deux sur le rassemblement. Au signal du chef, les lames acérées des étriers labourèrent le flanc des chevaux, l’escadron se lança ventre à terre avec des hourras frénétiques, ouvrit la masse du peuple comme une volée de boulets, culbutant bêtes et gens, et passa outre sans sourciller. Vendeurs, animaux, marchandises, litières, cacolets de voyage, tout fut renversé, et les spahis furent bientôt hors de notre vue.

Il me tardait d’instruire le commandant que la femme si long-temps cherchée par la frégate était retrouvée. Nous regagnâmes promptement le port ; le commandant venait d’y arriver avec les philhellènes prisonniers que le pacha avait rendus sans se faire prier. Le commandant hêlait déjà le canot mouillé au large, nous invitant à nous presser afin de rejoindre l’escadre avant la nuit. Nous accourûmes lui raconter ce dont nous venions d’être témoins. Aux premiers mots qu’il put comprendre, car nous parlions tous ensemble, le commandant dressa l’oreille. — Quel coup du ciel ! s’écria-t-il ; ma foi, hasard ou bien joué, peu importe ! je suis fort aise que la Fleur de Lis se tire à son honneur de cette ridicule affaire.

Mes camarades furent aussitôt congédiés, seul je reçus l’ordre d’accompagner le commandant à la forteresse où logeait Ibrahim ; mais, quand nous arrivâmes, sa hautesse n’était pas visible : elle était renfermée dans l’appartement de ses femmes, et on ne pouvait l’aborder que le lendemain. Le commandant, malgré son désir d’appareiller, — résolut alors de passer la nuit à l’ancre ; il annonça sa visite, et nous nous retirâmes. Le lendemain, nous étions de bonne heure devant la forteresse. Le château de Modon est d’architecture vénitienne, à l’exception d’une tour engagée dans les remparts, dont la construction remonte à Geoffroy de Villehardouin, prince d’Achaïe en 1205. Les murailles bordent la mer et tombent en ruines. Un bey nous fit entrer dans le divan, qui avait pour tous meubles un sofa avec une pile de coussins, pour ornemens des cordons de peinture bleue contre les murs et des rosaces badigeonnées. Au bruit, des pigeons s’envolèrent en bloc par les fenêtres et revinrent bientôt un à un roucouler sur la corniche. Après vingt minutes d’attente, des crosses, des éperons résonnèrent dans les escaliers ; des voix gutturales, les aboiemens d’une meute emplirent le corridor. La porte s’ouvrit ; cinq lévriers bondirent en arrêt, formant l’avant-garde d’un cortége de mollahs, d’officier s de dignitaires qui se rangèrent la face tournée vers le seuil, et le pacha