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grandir et se transformer sous l’influence de cette vieille Allemagne doit il reste aujourd’hui si peu de traces ; du fond de son obscure condition, elle aspiré à la lumière, elle se crée un monde surnaturel et se plonge amoureusement au sein de Dieu. Le tableau de sa candide ignorance et de ses aspirations avides au milieu de la vie la plus humble exprime vivement certains côtés du mysticisme des classes inférieures ; on comprend toutefois que le point de départ est bien vite oublié et que l’image de la réalité ne tarde pas à se perdre dans maintes fantaisies individuelles. Celui que Goethe appelle un somnambule pouvait bien nous faire entrevoir les illuminations des ames simples, il ne pouvait être le peintre complet du peuple. Environ une vingtaine d’années après Stilling et Pestalozzi, un homme élevé dans les champs, accoutumé de bonne heure aux rudes leçons de la misère, et aussi étranger par nature aux influences littéraires qu’aux émotions de la politique, un poète dont rien ne troublait la sérénité d’esprit et de cœur, Jean-Pierre Hebel chanta dans de populaires idylles les mœurs agrestes au milieu desquelles s’était écoulée son enfance. Seulement, lorsque Hebel écrivit ses Poésies alemanniques, il avait quitté son village natal, il était loin des montagnes où il allait, pauvre mendiant, ramasser du bois avec sa mère ; il vivait dans une ville, occupé des doubles fonctions du sacerdoce et de l’enseignement. C’étaient des souvenirs qui l’inspiraient bien plus que l’impression directe de la réalité ; de là le charme idéal de ses poésies, charme irrésistible sans doute, mais qui n’est pas toujours conforme à la franchise de la pensée. Si Jean-Paul avait plus d’art, si son inspiration, plus soucieuse du vrai, ne s’envolait pas sans cesse dans le bleu et dans les nuées, s’il n’avait pas parlé une langue qui n’appartient qu’à lui, une langue mystérieuse et folle, au lieu de parler l’idiome du peuple, quel poète eût plus tendrement aimé les humbles que l’auteur de Siebenkœs et le chantre du maître d’école de village ? Dans une période bien plus rapprochée de nous, Immermann a donné un modèle de poésie rustique, lorsqu’il a écrit ce charmant épisode de son roman de Münchausen, les amours d’Oswald et de Lisbeth. Nous touchons ici à une phase toute nouvelle. Les vieux écrivains, Voss, Pestalozzi, Jung Stilling, Hebel, semblaient depuis long-temps oubliés des poètes, lorsque le succès des fraîches peintures d’Immermann éveilla peu à peu les imaginations et révéla aux conteurs un domaine fertile. Dès-lors, les tableaux rustiques se succédèrent sans relâche ; M. Joseph Rank s’empara de la Bohême ; M. Berthold Auerbach s’établit dans la Forêt-Noire ; M. Léopold Kompert s’attacha aux paysans juifs, particulièrement aux Juifs de l’Autriche, et les peignit en poète. Vers le même temps, Mme Sand nous donnait avec un talent supérieur des scènes du Berri où des trésors de vérité et de poésie sont défigurés souvent par l’affectation de l’artiste. M. de Lamartine n’est