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leçon apparaît naturellement, comme le fruit né de la fleur. Au milieu de cette douloureuse histoire, la figure de Bréneli se revêt sans cesse d’une grace plus sérieuse ; elle est le bon génie de la maison. Comme elle a le cœur plus serein, son esprit est plus clairvoyant aussi, et Uli ne se trompe jamais quand il suit ses conseils. Cette création de Bréneli fait le plus grand honneur au romancier. Je n’en dirai pas autant d’un personnage assez étrange qui vient à point dans les dernières scènes pour amener le dénoûment, et qui ne me paraît guère appartenir à cette réalité dont Jérémie Gotthelf est le peintre ordinairement si sincère. Quand Joggeli et sa femme sont morts, quand le domaine est mis en vente et que le pauvre Uli, à demi ruiné déjà par une mauvaise année, va être obligé de chercher fortune ailleurs, l’acheteur à qui appartiendra la ferme est un certain paysan nommé Hagelhans, être mystérieux, farouche, redouté et maudit à quinze lieues à la ronde, qui vit retiré dans sa maison solitaire, en compagnie d’un énorme chien aussi terrible que lui. Ce sauvage, dès qu’il entre dans sa nouvelle ferme, a tout à coup maintes prévenances pour Bréneli ; bien plus, ce formidable chien, l’effroi de toute la contrée, vient lécher les mains de la jeune femme et s’apprivoise avec les enfans. Bréneli apprend bientôt que Hagelhans est son père, et qu’elle a eu pour mère celle qui l’a si tendrement élevée, celle qu’elle appelait sa cousine, la femme de Joggeli. Irrité pour maintes raisons contre la mère de son enfant, en proie à une misanthropie implacable, Hagelhans vivait seul avec son fusil et son bouledogue ; mais, du fond de sa ténébreuse retraite, il a suivi les progrès de sa fille, il a su son mariage avec Uli, et maintenant qu’ils vont être expulsés de la ferme, il arrive, à la fois bienfaisant et bourru, pour mettre fin à leurs peines. Je ne nie pas qu’il y ait dans cet épisode inattendu des détails pleins de poésie ; il est évident toutefois que l’auteur n’est plus sur le terrain où il a trouvé de si précieux trésors. Il n’est pas besoin d’une attention exercée pour surprendre ici je ne sais quel accent de mélodrame ; une fantaisie douteuse a pris la place de la réalité. Combien j’aime mieux Jérémie Gotthelf quand il ne cherche pas la poésie ailleurs que dans les sillons de son pays, dans la ferme remplie des bruits harmonieux du travail, dans la grange où résonne le fléau, dans l’étable où mugit la vache nourricière ! A part ce reproche, Uli le fermier ne le cède pas à Uli le valet. C’est la seconde période, la période grave et soucieuse d’une même existence bien conduite ; il y a plus d’expérience, plus de profondeur, une raison plus haute et de plus mâles combats. L’éducation d’Uli s’achève dans des épreuves qu’il ne soupçonnait pas lui-même. Il a appris que chaque jour a sa tâche, et qu’à chaque heure est attaché un devoir ; il sait qu’il faut se défier sans cesse de soi ; il ne se reposera plus sur ses victoires passées. Bréneli a laissé ignorer à Uli