Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/529

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Saint-Denis et Notre-Dame appartiennent à notre histoire, — qu’on nous pardonne cette comparaison toute païenne, — comme le temple du Capitole à l’histoire de Rome. Ces basiliques ont eu pour ainsi dire une destinée exceptionnelle. Le respect qu’on leur a porté dans tous les âges semble même survivre à la foi qui les a bâties, et ce respect est attesté par la sollicitude constante des générations qui se sont succédé depuis tant de siècles pour les embellir ou les défendre contre les ravages des temps ou les insultes des hommes. Le marteau révolutionnaire, qui ne pardonnait pas aux reliques du passé, s’est arrêté de lui-même devant la grandeur et la sainteté de leurs souvenirs. Il a brisé la sainte ampoule sur le parvis de Reims ; il a dispersé dans les caveaux de Saint-Denis la dépouille des rois ; il a mutilé des statues sur le portail de Notre-Dame ; mais Saint-Denis, Reims et Notre-Dame, protégées par la poésie de leur histoire, sont restées debout au milieu de tant d’autres ruines.

Suivant une tradition rapportée par la plupart des historiens de Paris, l’église Notre-Dame, située à la pointe orientale de la Cité, occupe l’emplacement d’un autel élevé à Jupiter, sous le règne de Tibère. Elle se composait primitivement de deux édifices séparés, consacrés l’un à la Vierge, l’autre à saint Étienne. Le premier fut incendié par les Normands en 857, et réparé dans le siècle suivant ; le second, qui avait peu souffert des ravages des hommes du Nord, fut conservé en assez bon état jusqu’au XIIe siècle. À cette époque, les deux édifices furent démolis, et l’évêque Maurice posa les premières pierres de la cathédrale actuelle.

Né d’une famille pauvre dans le village de Sully sur les bords de la Loire, Maurice, qui prit le nom du lien de sa naissance, avait été, dans sa première jeunesse, réduit à mendier pour vivre. À force de travail et de vertus, il arriva rapidement aux plus hautes dignités du sacerdoce, car dans ce monde féodal, où des barrières infranchissables séparaient toutes les classes, l’égalité avait aussi trouvé son droit d’asile dans l’église : les plus humbles par leur naissance pouvaient aspirer à la mitre et à la pourpre du moment où ils s’en montraient dignes ; mais ils devaient toujours se rappeler leur origine et, pour se faire pardonner la grandeur, s’humilier en s’élevant. C’est ce que fit l’évêque Maurice. On raconte que, peu de temps après son installation, sa mère, heureuse d’avoir un tel fils, se rendit à Paris à pied, un bâton à la main, et vêtue comme d’ordinaire en paysanne ; elle demanda dans la rue, à des femmes qui passaient, la demeure de l’évêque, en disant qu’elle voulait le voir parce qu’elle était sa mère. Aussitôt on l’accabla de caresses ; on lui donna des habits plus décens que ceux qu’elle portait, on la conduisit auprès de Maurice, et comme elle voulait se jeter dans ses bras, il l’arrêta en disant : « Vous n’êtes pas ma mère, car elle ne porte que de la bure, et je ne vous reconnais pas sous ces habits. »