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très étendue, mais en même temps très divisée. Il avait la justice haute, moyenne et basse, de la nef, des bas-côtés et du parvis de Notre-Dame, de l’Hôtel-Dieu, d’un grand nombre de rues, de portions de rues, quelquefois même de maisons isolées sur la rive gauche et la rive droite de la Seine. Ce morcellement donnait lieu à une infinité de chicanes, et, comme les juridictions co-existantes se contrariaient sans cesse et cherchaient à empiéter les unes sur les autres, il y avait presque toujours deux procès pour un, le premier entre les juges qui plaidaient pour le droit de juger, le second entre les parties qui plaidaient pour obtenir justice sans savoir souvent à qui la demander. Outre ses droits de justice, le chapitre avait des revenus et des biens considérables ; ces biens, en tant que propriétés foncières, étaient administrés par des prévôts, des maires et des doyens, qui agissaient tout à la fois comme intendans, comme juges et comme fermiers ; car le principe de la propriété territoriale, toujours respecté parle catholicisme, était au moyen-âge beaucoup plus fortement constitué que de nos jours, et il se liait très étroitement au principe même de l’autorité. Chez les Germains, c’était le courage qui faisait les chefs ; chez les Francs, ce fut la terre qui fit les nobles ; ce fut elle aussi qui fit les juges : on était magistrat parce qu’on était propriétaire. « Il est douteux, dit à ce propos l’éditeur du Cartulaire, il est douteux que dans la barbarie du moyen-âge le gouvernement du peuple eût trouvé autre part plus de garanties que dans les intérêts de ses maîtres, et que la magistrature eût pu s’allier mieux qu’avec la propriété. » Du reste, cette magistrature était grossière comme les mœurs, et c’est surtout dans la pénalité criminelle que se montre toute la barbarie de notre ancien droit. C’est là surtout que se révèle l’immense supériorité de la société religieuse sur la société civile. Dans le droit canonique, en effet, tout est admirable d’ordre, de logique, de prévoyance ; dans le droit féodal ou municipal, au contraire, il n’y a que chaos, arbitraire, violence. Dans les épreuves par l’eau et par le feu, c’est le hasard qui décide ; dans la torture, c’est la douleur qui fait souvent que l’innocence se condamne elle-même. Il faut attendre jusqu’au XIVe siècle pour trouver la preuve par témoins nettement établie ; il faut attendre jusqu’à la fin du XVe pour trouver en germe la première notion des circonstances atténuantes. La gravité de la peine n’est jamais réglée sur la gravité morale du délit. Tandis que les voleurs sont pendus, mutilés, enfouis tout vifs, les meurtriers en sont quittes pour l’exil ou l’amende. Il semble que la notion du juste et de l’injuste varie de ville à ville, et, quand on suit dans le détail cette législation à la fois impuissante et cruelle, on se demande comment une société aurait pu subsister dans des conditions pareilles, si le christianisme n’avait fait briller au milieu de ces ténèbres les lumières de son impérissable raison.