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l’extermination des populations tout entières, par des bandes qui n’épargnaient leurs ennemis que pour les réduire en esclavage. Au milieu de cette dévastation sans pitié, l’église intervenait activement en faveur des vaincus, sans distinction de races ou de croyances. En 494, saint Épiphane, évêque de Paris, acheta la liberté de six mille Italiens que les Bourguignons retenaient captifs. En 510, saint Césaire, qu’on peut appeler le Fénelon des temps barbares, habilla et nourrit une multitude de Francs et de Gaulois, prisonniers des Goths, et paya leur délivrance avec le trésor de son église, disant qu’il ne fallait point garder un métal insensible au détriment de créatures humaines qui souffraient.

Ce n’est pas seulement dans les institutions ecclésiastiques qu’il faut chercher les causes de la popularité du clergé, c’est aussi dans ce qu’on pourrait appeler l’organisation purement humaine de l’église et le développement de sa puissance temporelle. Dès les premiers temps de la monarchie française, une portion très notable de la propriété territoriale tomba dans le domaine de saint Pierre, et la Gaule était encore à demi païenne, que déjà le clergé gaulois était plus riche que ses conquérans. Sous le règne de Clovis, saint Remi paya la terre d’Épernay 5,000 livres d’argent, c’est-à-dire 3 millions de francs de notre monnaie. Quoique le clergé ait été dépouillé sous Charles Martel, il était rentré, au VIIIe siècle et au commencement du IXe, en possession de biens immenses. D’après une décision du concile d’Aix-la-Chapelle, en 816, les églises qui avaient des chapitres furent divisées en trois classes, d’après l’étendue de leurs propriétés foncières, et cette division montre toute l’importance de ces propriétés. Les plus riches possédaient de trois mille à huit mille manses, c’est-à-dire au moins cinq mille cinq cents manses en moyenne ; les autres quinze cents manses, et les troisièmes deux cent cinquante. Or, le manse, d’après le calcul de M. Guérard, étant composé de dix hectares trois quarts, les premières avaient plus de soixante-dix mille hectares, les secondes plus de vingt mille, les troisièmes au moins trois mille cinq cents. Un agiographe du XIe siècle attribue même à l’abbaye de Saint-Martin, fondée par Brunehaut dans un faubourg d’Autun, cent mille manses, représentant un revenu annuel de 14 millions ; mais, comme le témoignage de cet agiographe a été contesté, nous ne rapportons ce fait que pour mémoire.

Les revenus ecclésiastiques étaient répartis en quatre lots égaux : le premier pour l’évêque, le second pour le clergé, le troisième pour les pauvres, le quatrième pour l’entretien des édifices du culte. La part des pauvres était toujours mise en réserve, et, lorsqu’elle était insuffisante, l’église vendait ses biens, prélevait de fortes sommes sur ses revenus, et mettait même en gage les objets consacrés au culte. Cette inépuisable charité, alimentée par d’immenses richesses, fut sans aucun