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par des femmes vigoureuses marchant sur le sol que nous foulons aux pieds. Les figures qu’il a modelées depuis vingt ans prouvent assez qu’il connaît le maniement de l’ébauchoir. Ce n’est pas l’adresse qui lui manque, c’est la réflexion. Il exécute avec finesse ce qu’il a conçu étourdiment. Les Victoires placées dans la salle des sept cheminées établiraient sans réplique la pensée que j’exprime, s’il était besoin de la démontrer. Les figures de M. Duret, élégantes et précises, semblent condamnées par le poids même de leur vêtement à ne pas quitter la terre.

Et si je parle du temple de la Victoire aptère, ce n’est pas que la Grèce me refuse d’autres exemples ; je pourrais facilement, en consultant les souvenirs familiers à tous les esprits, trouver de quoi étayer ma pensée ; mais les fragmens placés à l’École des Beaux Arts sont unis par une si étroite analogie aux sujets que M. Duret a traités, qu’il me semble parfaitement juste d’estimer l’œuvre du sculpteur français d’après les documens qu’Athènes nous a laissés. Cependant je ne voudrais pas exagérer la portée de cette comparaison. Personne aujourd’hui parmi nous ne peut lutter avec les œuvres de l’école attique, et j’ajoute que l’Italie, l’Allemagne et l’Angleterre ne sont pas dans une condition meilleure. Je ne veux donc pas chicaner M. Duret sur l’intervalle qui sépare ses Victoires des Victoires du temple athénien ; mais la manière dont il a distribué les couleurs sur les vêtemens de ces figures ne saurait être acceptée. Rien de plus simple, en effet, que de jeter les étoffes colorées sur les étoffes blanches. Le procédé contraire ne peut être justifié par aucun argument. Et pourtant M. Duret n’a tenu aucun compte de ces notions vulgaires ; il a jeté sur les membres demi-nus de ses Victoires des étoffes colorées, et sur ces étoffes colorées des étoffes presque blanches. C’est à mon avis une méprise sans excuse. Peut-être M. Duban a-t-il obligé M. Duret de distribuer les couleurs dans l’ordre que je blâme et que le bon sens réprouve ; peut-être l’architecte, usant du droit souverain qui lui est dévolu, a-t-il contraint le statuaire à violer toutes les données fournies par l’usage, par l’évidence. Sans me prononcer sur la part de responsabilité qui revient à M. Duret, à M. Duban, je me contente d’affirmer que l’emploi des couleurs dans la salle des sept cheminées est contraire à tous les principes du goût. L’étoffe blanche sur la chair, l’étoffe colorée sur l’étoffe blanche, voilà ce que la tradition, ce que l’usage établit. Ni le peintre ni le statuaire ne peuvent méconnaître ces données élémentaires, et je me trouve amené à répéter pour M. Duret ce que j’ai dit pour M. Simart. Si M. Duban, en esquissant la décoration de la salle des sept cheminées, a posé les conditions absurdes que je viens d’énumérer, tout en reconnaissant que le statuaire s’est trouvé obligé de les subir, je ne renonce pas à les condamner. J’absous M. Duret, qui s’est soumis, et qui n’avait pas la liberté du choix ; je condamne l’architecte, qui lui a imposé ces conditions.

Je dois le dire, la salle des sept cheminées, malgré tous les défauts qui la déparent, est loin de soulever les mêmes objections que le salon carré. Les Victoires de M. Duret, drapées de laine au lieu d’être drapées de lin, enluminées de couleurs distribuées sans raison et sans prévoyance, n’inquiètent pas le spectateur comme les figures colossales de M. Simart. La seule conclusion que je veuille tirer de cette différence, c’est que M. Duban, complètement égaré par le désir d’éblouir les yeux en traçant la décoration du salon carré, a conçu la