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être réunies. C’était se ranger du côté du bon sens, et chacun peut à bon droit s’étonner qu’une telle idée ait tardé si long-temps à se faire jour. Cependant cette idée, d’une justesse si évidente, ne suffit pas pour classer toutes les œuvres que possède le Musée. L’exemple de Florence, invoqué si maladroitement par M. Duban et par ses amis pour justifier la décoration du salon carré, devrait être mis à profit avec plus de clairvoyance. Florence possède deux galeries publiques, la galerie des Offices et la galerie Pitti. La galerie Pitti ne renferme que des œuvres choisies avec un discernement sévère. J’en excepte pourtant la Vénus de Canova. La galerie des Offices a toutes les prétentions d’une encyclopédie pittoresque, et si elle ne les justifie pas complètement, du moins faut-il reconnaître qu’elle nous offre la série non interrompue des maîtres italiens. Or, pour les Toscans, l’Italie résume le monde entier. Pourquoi la France ne classerait-elle pas les tableaux qu’elle possède dans l’ordre adopté par Florence ? La galerie des Offices ne se contente pas de réunir les œuvres d’un maître, elle dispose les maîtres mêmes dans un ordre chronologique. Florence a écouté les conseils du bon sens ; pourquoi Paris s’obstinerait-il plus long-temps à les repousser ? Que les maîtres primitifs reprennent la place qui leur appartient, et que toutes les écoles soient disposées dans un ordre chronologique : les ignorans ne s’en plaindront pas, et tous les esprits studieux applaudiront.

Après la galerie des Offices, le musée du Louvre est la plus riche galerie du monde entier. Malheureusement, les richesses que nous possédons sont livrées à tous les caprices de l’ignorance et de la vanité. Tantôt une main maladroite dérange pour le plaisir de déranger, tantôt une main sacrilège imprime au front d’une œuvre immortelle une blessure impérissable. Il serait temps d’arrêter ces profanations. Si l’exemple de Florence était suivi, si tous les maîtres étaient disposés dans un ordre chronologique, la foule en quelques années apprendrait à les connaître, sinon à les apprécier, et les fautes commises par l’administration frapperaient tous les yeux. Il ne serait plus permis de traiter les vieux tableaux comme le linge sale, de les mettre à la lessive, de les poncer, de les savonner. Chacun saurait que tel jour, à telle heure, un Poussin, un Lesueur a subi l’affront d’une restauration ignorante, et la sottise dénoncée sur-le-champ ne pourrait plus se renouveler. J’appelle de tous mes vœux ce régime salutaire. Qu’on y prenne garde, les plus belles œuvres auront peut-être la même destinée que la Vie de saint Bruno. L’injure faite à Lesueur est demeurée impunie ; qui nous assure que demain ce ne sera pas le tour de Raphaël ?

M. Constant Dufeu, l’un des pensionnaires les plus distingués de l’école de Rome, aujourd’hui professeur à l’école de Paris, mais dont le talent par malheur n’a jamais été mis à l’épreuve, a composé pour la société des architectes une médaille dont la devise peut servir à juger les derniers travaux de M. Duban. Cette médaille, gravée par M. Oudiné, ne porte pour inscription qu’une seule parole empruntée à la langue d’Homère, mais cette parole unique résume dans son éloquente concision tous les devoirs de l’architecture. Le beau dans l’utile, tel est le but que l’architecture doit se proposer constamment. Qu’il s’agisse d’un palais, d’une église ou d’une forteresse, le devoir est toujours le même. La beauté sans l’utilité, l’utilité sans la beauté, ne sont qu’une moitié