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extérieure et intérieure, tout est livré au caprice, rien ne relève d’une raison prévoyante. Mille détails étudiés et rendus avec coquetterie, rien qui exprime la destination du monument, car les bustes de Pujet et de Nicolas Poussin ne suffisent pas pour marquer le but de cette construction. Le grand escalier qui mène au premier étage, vanté d’abord avec tant de fracas, n’est, à proprement parler, qu’une carte d’échantillons. Toutes ces plaques de marbre encastrées dans les murailles n’ont guère plus de valeur aux yeux d’un homme de goût qu’un habit d’arlequin. Il n’y a là rien qui ressemble à une véritable décoration, rien qui mérite une attention sérieuse. Le plafond de la salle destinée à l’exposition des ouvrages de peinture n’est pas conçu d’une façon plus sévère. De gais convives ou de joyeux danseurs seraient tout aussi bien placés dans cette salle que les tableaux des élèves, et je persiste à croire que toute œuvre d’architecture doit porter à l’intérieur comme à l’extérieur le signe de sa destination. M. Duban, qui a vécu cinq ans en Italie comme pensionnaire, ne l’ignore sans doute pas. Pourquoi donc se conduit-il absolument comme s’il l’ignorait ?

Parlerai-je d’une salle du rez-de-chaussée qui devait offrir à l’étude les bas-reliefs moulés en Italie, et qui demeure aujourd’hui sans usage, pour une raison qui n’admet pas de réplique, parce que le plafond, qui n’avait à porter qu’un seul étage, ne s’est pas trouvé avoir les épaules assez fortes ? Le plafond a fléchi, et ne conserve un semblant d’existence que grace aux arbres de fonte qui sont venus étayer sa faiblesse. Si M. Duban, au lieu de perdre son temps à disposer sur les parois du grand escalier tous les échantillons de marbre qu’il pouvait rencontrer, eût pris la peine d’étudier ou de se rappeler les lois de la statique, dont l’architecture ne saurait se passer, s’il eût mesuré l’armature du plafond au poids du premier étage, cette salle, aujourd’hui condamnée comme inutile, nous présenterait un choix de bas-reliefs empruntés soit à l’antiquité, soit à la renaissance. Livré tout entier au soin d’éblouir, il a négligé une condition prosaïque et vulgaire : la solidité de l’édifice. L’exemple de M. Debret n’aurait pourtant pas dû être perdu pour lui. La mésaventure du clocher de Saint-Denis, qui très heureusement s’est écroulé à l’heure où les bourgeois étaient encore dans leurs lits, aurait dû lui montrer toute l’importance de cette condition vulgaire qui s’appelle solidité ; mais M. Duban ne daigne pas descendre jusqu’à ces détails mesquins. Son ambition vise plus haut : il prétend ressusciter l’architecture de la renaissance. Lors même que cette prétention serait justifiée, M. Duban n’aurait pas de place marquée dans l’histoire de son art. La résurrection du passé ne suffira jamais pour assurer la durée d’un nom ; mais il s’en faut de beaucoup qu’il ait retrouvé la fantaisie élégante et ingénieuse de la renaissance, car, sous Louis XII, sous François Ier, même sous Henri IV, les architectes, dans leurs caprices les plus hardis, n’ont jamais perdu de vue l’harmonie et l’unité, et l’École des Beaux-Arts n’offre rien de pareil. Quant à la solidité des édifices, ils n’en faisaient pas fi. Ainsi M. Duban, qui dédaigne les conditions prosaïques de l’architecture, n’en connaît pas mieux les conditions poétiques. Il néglige, il méconnaît l’utile sans rencontrer le beau. Anet, Gaillon, Moret, Amboise, Fontainebleau, ont amusé son esprit sans l’instruire, sans lui révéler les lois fondamentales sur lesquelles repose l’expression de la pensée, quelle que soit d’ailleurs la forme choisie, peinture, statuaire ou