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monarchie, ni pour la république ? » Et il repoussait l’idée d’une pareille indécision comme une injure que son patriotisme n’oserait jamais infliger à la France. Cette indécision existe pourtant : il faut parler net et se regarder en face au miroir ; mais il ne faut pas l’interpréter avec un pessimisme si douloureux : ce n’est pas le fait d’une caduque impuissance qui ne saurait plus choisir entre les institutions ou entre les personnes, c’est que le choix a perdu beaucoup de son intérêt. Voyez plutôt : voici M. de Larochejaquelein qui ne veut plus entendre un mot de droit divin, si ce n’est en même temps le droit national ; M. Berryer, M. de Falloux, tout ce qu’il y a de sage et de considérable dans le parti légitimiste date aujourd’hui comme nous de 1789, et ils auraient à refaire la charte de Saint-Ouen, qu’ils ne consentiraient plus à l’appeler une ordonnance de réformation ; — reste, il est vrai, toujours la question de savoir si on ne la ferait pas sans eux. M. Michel (de Bourges) nous démontre ensuite, pour son compte, que nous sommes, même sans y penser, républicains jusqu’à la moelle, « que la république est née de nous, avec nous, parmi nous, » et ç’a été là réellement la meilleure habileté de son discours, et, à prendre les choses de bonne foi, la thèse était spécieuse : elle a ses côtés vrais.

Que signifient donc toutes ces concessions de partis et à qui s’adressent-elles ? La restauration avait conquis la France en 1815, la république l’a conquise aussi en 1848, c’est cette double conquête que la France a sur le cœur ; mais les conquérans eux-mêmes abdiquent aujourd’hui ce titre dont ils ont été si fiers : il n’y a plus d’émigrés rentrés, il n’y a plus de républicains de la veille ; — tant mieux, nous en remercions ceux qui nous le promettent. Les républicains de la veille n’étaient pas faits autrement que la France, les émigrés rentrés se sont confondus dans cette France ainsi faite ; — encore tant mieux, nous le croyons comme on nous le dit, et si l’on nous dit cela, c’est qu’on a probablement appris à ses dépens que l’immense majorité du pays n’appartient ni à la pure république de la veille ni à la pure monarchie de l’avant-veille. Si pur que l’on soit, si fort que l’on tienne « aux principes fixes, fondamentaux, historiques, complètement avoués, » selon les expressions de M. de Falloux, on transige bon gré mal gré avec cette irrésistible puissance du sens commun d’un grand pays. Dès qu’on veut lui parler sa langue, dès qu’on veut s’en faire agréer, on transige, et de partout on lui offre à peu près le même lot, parce que chacun fléchit son « principe fixe » autant qu’il faut pour le réduire à la moyenne des idées du temps. Que l’on ne s’étonne donc pas, que l’on ne se désole pas, si la France ne paraît pas trop empressée de choisir entre la république et la monarchie ; elle sait trop bien instinctivement qu’elle n’aura jamais une monarchie qui ne soit pas pour beaucoup républicaine, ni une république ou il n’y ait pas beaucoup de monarchie : elle soupire seulement après des institutions qui soient des institutions. Que l’on s’étonne encore moins de ne pas la voir affecter quelque préférence signalée pour une personne plutôt que pour l’autre. Il n’y a plus d’institutions véritables dans le régime de la société moderne que celles qui dominent les personnes chargées de les appliquer ; les personnes sont ainsi diminuées et s’effacent presque nécessairement ; celles qui ne pourraient pas s’effacer ne seraient plus compatibles avec les institutions et toutes ainsi diminuées, comment pourraient-elles exercer sur les masses une attraction bien violente ?