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côté de la monarchie du XVIIe, sur un même fondement d’autorité traditionnelle et imprescriptible. C’était bien la peine de se plaindre des prétentions liberticides de la monarchie constitutionnelle !

Le général Cavaignac est un homme de commandement, et il veut un état où l’on puisse commander à l’aise. Ce n’est pas chez lui, le ciel nous préserve de l’insinuer ! une étroite et vulgaire passion ; c’est une doctrine qu’il a dans le sang et qu’il porte écrite sur son visage. Telle n’est point la république des avocats. M. Michel (de Bourges) a commencé par protester contre l’intolérance dogmatique de son voisin de la gauche ; jamais il n’y eut de différence plus sensible entre deux coreligionnaires. Le dogmatisme intraitable du général n’est pas du tout le fait de l’homme du barreau. Celui-ci ne dogmatise pas, n’algébrise pas ; il a des phrases quelquefois apparentes, des aperçus quelquefois ingénieux ; il court après les effets de mots ; il est évidemment heureux de ne pas les manquer tous ; le métier le reprend au milieu de sa bonne fortune oratoire, et il la compromet en visant à l’embellir. L’éducation n’a pas été la même chez les deux alliés ; ils se ressentent chacun de la sienne : l’un s’est fait tout d’une pièce, sous la tente d’Afrique, dans les âpres réalités de la vie du désert et de la guerre ; l’autre a traversé les fausses surexcitations et les fausses langueurs de la vie romanesque, telle qu’on l’a rêvée dans nos derniers vingt ans ; il a passé par toutes les exagérations stériles de l’opinion, du cœur et du langage. Les années le guérissaient, la tourmente l’a repris quand il était au port et s’amarrait déjà fort solidement. Il a fait bonne mine à mauvais jeu ; il s’est relancé en pleine aventure. Voulez-vous juger ces deux hommes sur un mot : pour le général Cavaignac, la république est un théorème qu’il s’est démontré méthodiquement, et qui le conduit par le chemin qu’on a vu jusqu’au muet rigorisme du droit divin. Il est froid, positif, obscur même ; mais sous cette obscurité l’on devine encore un fonds solide. Écoutez Me Michel, et tâchez de découvrir la solidité de sa pensée : « La tribune est toujours redoutable pour moi, car de cette hauteur du monde intellectuel il ne devrait tomber que des paroles dignes du peuple à qui elles sont adressées. Or, qui peut être sûr de la vérité ? Voilà pourquoi je m’abstiens assez volontiers du périlleux honneur de faire entendre ma voix dans cette assemblée. Aujourd’hui je ne suis pas ému, j’ose dire que je suis sûr de la vérité. Je défends la république : c’est l’instinct des peuples ! » Sonnez, trompettes, battez, tambours ! Nous aimons encore mieux le droit divin du général Cavaignac que cet instinct des peuples.

Il y aurait plus d’une analogie piquante à saisir entre M. Michel (de Bourges) et M. Victor Hugo. M. Michel plaide un peu dans le style des Orientales, et M. Hugo est allé s’asseoir à côté de l’avocat formé par ses poésies, au milieu des superbes montagnards de 1851. Mais il nous semble que nous avons déjà trop parlé des variations de l’ex-pair, et qu’on n’en peut plus rien dire qu’un chacun ne se soit dit. Un mot cependant encore. Nous en appelons à la sincérité de ceux qui ont ouvert leurs rangs à M. Victor Hugo : où croient-ils, en conscience, que leur associé de fraîche date siégerait au jour d’aujourd’hui, si l’élévation naturelle d’un riche et brillant esprit n’avait empêché M. de Lamartine d’aller à la démagogie ? M. de Lamartine une fois rouge, qu’il nous pardonne cette hypothèse, M. Victor Hugo aurait, à l’heure qu’il est, recommencé ces célèbres discours à l’Académie et au roi, dans lesquels il touchait