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de race grecque, ces hommages n’ont pas de quoi surprendre ; leur nature les y portait. L’effet soudain produit par l’art grec sur les ames rudes et neuves des vieux Romains montre mieux combien le charme en était irrésistible. Quand il reprit Tarente, sur Annibal, Fabius se laissa séduire par le Jupiter de Lysippe. « Il l’eût enlevé, dit Pline, si la hauteur colossale de cette statue ne l’en eût empêché. » Un Hercule passa pourtant à Rome par son ordre ; mais là se borna le butin qu’il fit sur les choses sacrées, et sa modération lui inspira cette noble parole : « Laissons aux Tarentins leurs dieux irrités. » La beauté de Syracuse, qu’il lui fallait livrer à ses soldats, toucha Marcellus jusqu’aux larmes. Sa fermeté prévint les dévastations, et s’il porta sur les divinités une main plus hardie que Fabius, son collègue, ce fut n’on par cupidité, mais pour enrichir et instruire sa patrie. Malgré cet entassement de dépouilles qui a rendu son triomphe célèbre, Paul-Émile ne fut rien moins qu’un profane. Dans la tournée qu’il fit en Grèce pour se reposer de la sanglante guerre de Macédoine, sous l’homme politique on voit percer l’amateur plus qu’ordinaire, presque l’artiste. En passant à Olympie : « Phidias a sculpté le Jupiter d’Homère, dit-il. » et il tenait auprès de ses enfans des sculpteurs et des peintres chargés de développer en eux le sentiment du beau.

Mummius rompit cette chaîne d’hommes de guerre exempts de fureurs dévastatrices. C’était un barbare. Néanmoins il ne méritait pas tout ce bruit de doctes colères qui s’est fait autour de son nom. L’histoire équitable a démêlé l’honnête homme dans le soldat ignorant qui mit Corinthe à sac et la brûla, mais dont les mains restèrent pures. Mummius mourut aussi pauvre qu’Aristide. Sylla, devant Athènes, se conduisit comme un forcené. Il avait déjà abattu les ombrages de l’Académie, brûlé le Pirée et l’arsenal de Philon, et, maître de la ville, il égorgeait. Tout à coup la voix des assiégés supplians lui rappelle que ce qu’il ravage, c’est la ville de Périclès et de Phidias. Il s’arrête et s’écrie : « J’accorde aux morts la grace des vivans ; » clémence tardive, mais dont l’art profita : au nombre des vivans épargnés se trouvèrent tous les monumens de l’Acropole.

Les violences de Sylla contrastent avec l’esprit, général de son époque, qui avait vu Appius-Clodius élever un portique à Éleusis et Cicéron annoncer à son fils l’intention de décorer d’un portail nouveau l’Académie d’Athènes. Rome, éprise du beau, édifiait à son tour ; et c’est une des gloires de César d’avoir envoyé à Corinthe une garnison pour en rebâtir les murs. Plus tard, à un moment où la décadence était partout de plus en plus sensible, deux hommes vinrent consoler l’art grec en Grèce même et le vivifier un peu. Sous Nerva, un rhéteur enrichi et la découverte d’un, trésor, Hérode Atticus, fit de sa fortune un emploi qui l’a rendu illustre. À lui seul, il construisit un théâtre et un