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finesse d’exécution. Deux cavaliers, en costume de chasse du temps de François Ier, poursuivent un taureau sauvage. Le taureau vient de faire face et se prépare à se défendre vigoureusement ; il se baisse pour éventrer d’un coup de corne le cheval qui arrive sur lui. Le cavalier, animé par la vue de son ennemi, se dispose à le frapper : chevaux, cavaliers et taureau, tout est rendu avec un mélange heureux d’élégance et d’énergie. J’admire surtout le mouvement de ce dernier acteur, sur qui se concentre l’attention. La tête baissée, exaspéré par l’éclat du fer qui le menace, il va passer sous le poitrail du cheval, entre ses deux épaules, et lui déchirer les entrailles, si le cavalier ne se hâte de sauver sa monture par un coup hardi. L’auteur ne paraît pas s’être préoccupé de l’arrangement des lignes, ou du moins, s’il y a pensé, il a si bien concilié l’harmonie linéaire avec la vérité des mouvemens, que cette préoccupation échappe au spectateur. M. Barye, dans la composition de ce groupe, a trouvé moyen d’arriver à l’effet sans se départir de la simplicité, et l’artifice est poussé si loin, qu’un observateur peu exercé pourrait croire que cet ouvrage n’a pas coûté une heure de réflexion. Et c’est là précisément le triomphe de l’habileté. Deux chevaux, deux cavaliers et un taureau, quoi de plus facile à copier ? Il faut pourtant bien consentir à reconnaître que cette tâche n’est pas à la portée de tous les sculpteurs, puisqu’il leur arrive si rarement de modeler un cheval capable de courir, un taureau dont les proportions soient d’accord avec la réalité. L’exactitude n’est pas le seul mérite du groupe qui nous occupe. Pour peu qu’on prenne la peine d’étudier attentivement les diverses parties dont il se compose, on demeure convaincu que l’auteur ne s’est pas borné à transcrire ce qu’il avait vu. Il y a dans cette œuvre si réelle par le savoir, par la précision, une part très large réservée à l’imagination, et ce n’est pas à nos yeux le moindre sujet de louange. Pour représenter la Chasse au Taureau avec une pareille élégance, sans rien enlever à la scène de l’énergie qui doit la caractériser, il ne suffit pas de bien voir le modèle ; il faut s’en souvenir après qu’il a disparu, et ajouter au témoignage des sens la puissance de la réflexion.

Tous ceux qui ont regardé à plusieurs reprises la Chasse au Taureau ne conservent aucun doute sur le rôle que l’imagination a joué dans la composition de cet ouvrage. Il est impossible en effet de transcrire littéralement une pareille scène. Où trouver des modèles qui consentent à poser ? Un tel spectacle ne dure qu’un instant. Le taureau se courbe et vomit des flots de sang, ou le cheval éventré s’affaisse et entraîne le cavalier. Il n’est pas question alors de copier ce qu’on a devant les yeux, il faut se contenter de bien voir ; puis, quand vient l’heure de se mettre à l’œuvre, l’imagination agrandit les élémens réels conservés par la mémoire. M. Barye, par un heureux privilège, a respecté