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Anchesme et l’effacer de la carte, il était aisé de violenter le sol. Alexandre eut cependant le bon sens de n’écouter pas Stasicratès, qui lui offrait de tailler l’Athos en forme humaine. Un tel projet était déjà un symptôme de décadence. Dans les beaux temps, rien de pareil L’activité de l’homme ne songeait point alors à transformer l’œuvre du Créateur : elle ne voulait que l’achever.

La nature avait multiplié en Grèce, comme pour tenter l’art, des soubassemens, des piédestaux, des socles. L’art vint, et ce qui manquait à la terre, il l’ajouta. Le rocher de Sunium était sans faîte, Phidias lui en donna un, et le voilà encore : c’est le temple de Minerve Suniade, qui de loin vous convie à tant de merveilles. Sans le Parthénon, plus de couronne pour l’Acropole d’Athènes. Egine a vingt belles hauteurs ; choisissez la plus noble et la mieux située : là est le Panhellenium. Le terrain descend-il des monts, l’art s’attache à ses pas, marche avec lui, et, s’il s’arrête, le creuse, l’arrondit en gradins et y construit une scène. Ainsi du mur de Thémistocle à l’Ilyssus, séparés par deux jets de flèche, l’Athénien trouvait à ses pieds le théâtre de Bacchus, où l’on jouait Sophocle, et l’Odéon de Périclès.

De degré en degré, l’art est arrivé dans la plaine. Ne pensez pas qu’il la dédaigne ; il sait qu’elle comporte et appelle tout un ordre de créations. Un magnifique espace se déploie entre l’Hymette, l’Acropole, l’Ilyssus et la mer. L’art grec remarque cet espace, le mesure et l’apprécie. Il le couvre d’un temple immense qui relève la plaine, lutte par la légèreté de son style avec le Parthénon, et, prolongeant à l’horizon ses colonnes corinthiennes par-delà le rivage et la vaste mer, ne les arrête enfin que sur l’azur même du ciel.

En méditant sur cette intime et parfaite harmonie entre l’art et le sol, on aboutit sans effort à cette conclusion que, dans la Grèce, l’art reflète et traduit la nature et la continue parfois, et qu’à son tour la nature explique l’art, le commente et le fait valoir, en sorte que chacun des deux en l’absence de l’autre n’a plus ni la même signification, ni le même prix. Et de cette conclusion sortent quelques enseignemens que les artistes feront bien de méditer : le premier, c’est que la plus digne et la plus honnête façon d’aimer les monumens grecs sera de les laisser avec leurs ornemens en Grèce ; le second, c’est que nul ne peut prétendre en avoir pénétré le sens qui n’a pas quitté son pays pour les aller étudier sous leur ciel et sur leurs montagnes ; le dernier, c’est que l’imitation exacte de l’architecture antique, heureusement féconde à Athènes et en Grèce, ne peut ailleurs enfanter que des contre-sens.

Mais il n’est pas nécessaire d’être architecte, sculpteur, peintre ou antiquaire, il suffit d’être homme et d’aspirer à une éducation supérieure de ses facultés pour retirer le plus grand fruit d’un commerce direct,