Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/690

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Moi aussi, s’écrie-t-il, j’ai mon église à moi, et c’est dans cette église-là que j’ai senti ma foi me venir. Dans ma jeunesse, j’ai jeté les regards vers ces mêmes cieux, et sondant leur immensité, j’y ai trouvé la visible omnipotence de Dieu ; mais en même temps, au fond de mon cœur, si plein qu’il fût du sentiment de sa puissance, j’ai lu, avec une égale clarté, le témoignage écrit que son amour débordait encore davantage… Mon esprit a tout ramené à ce seul argument : que lui, l’éternel alpha et oméga, lui qui, dans sa puissance, dépassait tellement tout ce que l’homme peut concevoir en fait de puissance, lui dont la sagesse ne se montrait pas moins infinie, ne pouvait manquer d’être aussi infiniment bon, et que jamais, avec le pouvoir d’accomplir tout ce que l’amour désire, il ne descendrait à accorder moins que l’homme réclame. Ce qu’il révèle d’amour dans la feuille et la pierre, me disais-je, confond la plus haute portée de ma raison. Rien que pour déchiffrer cela, ce qu’il accomplit pour moi dans la feuille et la pierre, il me faudrait une éternité passée à apprendre et apprendre sans cesse. Jamais il ne sera besoin que moi je l’aide à réparer un oubli : Dieu n’aura pas à apprendre d’une créature ce qu’il faut au plus humble des êtres. »


Par une transition qui révèle un grand tact d’artiste, M. Browning nous fait passer de la terre dans le monde surnaturel ; après avoir parlé à la pensée, il prépare l’imagination en la ramenant vers le ciel, où les nuages s’écroulent et roulent à l’ouest, tandis qu’au nord, au sud, au levant, se dessine un arc-en-ciel lunaire, puis un autre, puis un autre qui se perd au zénith.


« Tout à coup je levai les yeux avec terreur : il était là, lui, avec sa forme humaine, lui-même, sur l’étroit sentier, à quelques pas de moi… Il sortait donc comme moi de la chapelle. Je ne songeai plus au spectacle du ciel. Sa face m’était cachée. Je n’apercevais qu’un vêtement flottant ample et blanc, avec sa bordure, que je reconnaissais bien. Je ressentis de l’effroi, pas de surprise. Je me rappelai ce qu’il avait dit : Que partout où deux des siens seraient réunis pour prier, il serait au milieu d’eux. Bien certainement il avait été au milieu d’eux, de ceux qui priaient dans la chapelle, et mes tempes battaient de joie à la pensée que j’apercevais le pan même de sa tunique ; mais bientôt tout mon sang reflua froid et lourd, un nouveau frisson me passa dans les veines, et je m’écriai en m’élançant vers sa robe flottante : — Non, non, Seigneur, cela ne se peut pas que tu t’éloignes de moi, que tu m’abandonne, parce que j’ai méprisé tes amis… Tu es l’amour de Dieu ; ne m’as-tu pas entendu mettre son amour au-dessus de sa puissance ? Il ne faut donc pas que tu te retires de moi… La folie et l’orgueil ont été plus forts que mon cœur ; ce que nous pouvons de mieux est mauvais et ne peut soutenir ton regard, pourtant c’est toujours de notre mieux que nous devons faire. J’ai cru que le mieux était de t’adorer, toi l’Esprit, en esprit et en vérité, comme en beauté, et non dans les formes burlesques et sans nom dont je viens de m’éloigner… La face alors se tourna en plein sur moi, et, tombant à terre, je m’étendis plat comme la laine qu’étend le blanchisseur sous la lumière purifiante du soleil, et, quand le flux qui m’inondait parut se retirer, voilà que je marchais