Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/701

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rogue, car vous êtes seul à le partager. Passez votre chemin, s’il vous plaît, donneur d’eau bénite et beau diseur de mensonges.

— Pardon, vénérable señora, reprit Berrendo, me feriez-vous le plaisir de me donner un renseignement sur don Ramon Rayon ?

— Allez au diable, vous et don Ramon, riposta vivement la mère en emmenant sa fille ; nous n’avons que faire avec des insurgés.

À peine la duègne avait-elle dit ces mots, que la jeune fille était déjà loin, et Berrendo, sans trop se déconcerter, suivit des yeux la charmante Mexicaine jusqu’au moment où elle disparut. Alors il songea qu’il devait prendre ailleurs ses renseignemens, et le spectacle qui bientôt frappa ses yeux ne tarda pas à dissiper ses amoureuses visions. Quand il pénétra dans le lieu saint, le crépuscule n’éclairait plus qu’à demi l’intérieur de la nef, d’où s’exhalait une odeur étrange et fétide. Il avança et s’expliqua facilement les allusions des buveurs de la neveria. Les grandes dalles des sépultures étaient levées et jetées, les unes entières, les autres brisées, près des fosses qu’elles avaient recouvertes. Toutefois il ne s’expliquait pas trop le but de cette profanation, et il cherchait de l’œil à qui s’adresser pour le savoir. L’église était déserte et sombre ; ces sépultures béantes, au fond desquelles Berrendo n’osait regarder de peur d’y entrevoir de hideuses dépouilles, l’heure avancée et cette odeur sans nom, tout lui inspirait une crainte vague qui fit place à une émotion toute différente, quand il crut voir se lever du fond de l’une de ces fosses une forme humaine, ou plutôt l’ombre d’un mort.

Berrendo n’avait pas pour habitude de trembler devant les vivans, il ne craignait guère plus les morts sur le champ de bataille ; mais, sous le coup des idées qui le préoccupaient alors, il ne put retenir un geste de frayeur, dont il ne tarda pas à être d’autant plus honteux, qu’un éclat de rire moqueur retentit à ses oreilles. Il avança brusquement vers celui qui s’abandonnait si franchement à sa belle humeur ; l’ombre alors se dessina plus nettement, et il reconnut son voisin de la neverea. Son œil unique, — l’inconnu était borgne, — brillait encore du feu de l’ironie que Berrendo y avait remarqué une fois déjà. Ses longs cheveux, fièrement rejetés sur chaque tempe, laissaient à découvert un front énergique et un visage rudement accentué, une bouche et un œil également empreints de finesse et de calme fermeté ; son teint était si basané, qu’on eût pu douter qu’il appartînt à la race blanche. En un mot, il y avait, entre l’homme que Berrendo avait vu tout à l’heure et celui qui lui apparaissait subitement, le contraste frappant de l’indien sauvage qui ne reconnaît pas de maître dans la nature avec l’indien des villes abruti par la servitude.

— Qui êtes-vous ? lui demanda le jeune homme avec quelque colère.

— Voilà en quoi nous différons, vous et moi, répondit l’inconnu avec