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être aperçu qu’il put distinguer trois dragons penchés sur un homme terrassé qu’ils bâillonnaient et entouraient de liens. Il tomba à l’improviste sur eux. Il était déjà trop tard quand ils essayèrent de se mettre sur la défensive. C’étaient trois dragons espagnols, et cette raison suffisait à Andrès pour ne pas se demander s’ils avaient tort ou raison ; il ne vit que des ennemis et un pauvre diable succombant sous le nombre, et de deux coups de ses pistolets il jeta bas deux des agresseurs, quitte à s’expliquer ensuite avec le troisième ; mais, soit que l’Espagnol eût la conscience de soutenir une mauvaise cause, soit qu’il fût naturellement ennemi de toute explication, celui-ci s’élança éperdu sur son cheval et joua si vigoureusement de l’éperon, qu’en une minute il fut hors de vue.

Andrès, resté maître du terrain, s’empressa de dégager l’étranger des liens qui l’enchevêtraient ; son cheval gisait sur le sable percé d’un coup de rapière comme un taureau dans le cirque après le coup de matador. Saisissant la monture de l’un des dragons, Andrès la remit à l’étranger, qui l’enfourcha lestement. Quand ils revinrent tous deux, Luz murmurait une fervente prière d’actions de grâces. Malgré ses souhaits de vengeance, le muletier tremblait de les avoir vus réalisés et telle était encore à cette époque la terreur que le nom espagnol inspirait à la plupart des créoles, que les conducteurs de mules ne concevaient pas qu’on eût osé s’attaquer à des soldats du vice-roi. Le chef de la caravane supplia donc les voyageurs, les mains jointes ; de s’éloigner au plus vite de peur qu’on ne l’accusât de complicité avec eux. L’arriero ne pouvait donner aucun des renseignemens attendus de lui, et Andrès n’eut pas de peine à accéder à la prière, de ce poltron, presque dispose a témoigner contre lui plutôt qu’à le remercier de l’avoir vengé. Il poussa son cheval en avant, et fut bientôt suivi par ses compagnons auxquels s’était joint l’étranger. Ce voyageur était Anglais et s’appelait Robinson.- Merci ! dit-il à Andrès, vous avez rendu à la cause de l’indépendance de votre pays et au général Teran un service plus important que vous ne pouvez l’imaginer.

Après ce remercîment formulé en termes mystérieux, l’étranger se renferma dans un imperturbable silence. Quelques lieues plus loin, la cavalcade allait, aux clartés de la lune, apercevoir enfin les maisons de Tehuacan, lorsque le chercheur de traces montra du doigt à ses compagnons un spectacle qui fit passer dans leurs veine un frisson de terreur.

Dans un champ voisin de la route, au milieu d’un tapis épais d’alfalfasur lequel la lune projetait l’ombre de quelques oliviers au pâle feuillage un homme courbé sur le sol fauchait silencieusement ou paraissait faucher la luzerne du champ. Un feutre grisâtre, aux bords retroussés, orné d’une longue plume, cachait les traits de son visage,