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qu’il faudrait, pour la faire, aller d’abord se réfugier dans une place forte de la frontière, faire de cette place forte un point de départ pour reconquérir et soumettre le royaume avec des armées étrangères, et dit M. de La Marck, ces moyens existeraient, que je les tenterais avec et pour la reine seule, mais non avec et pour le caractère que je connais au roi. Ce malheureux caractère du roi paralysait les grandes qualités de la reine ; elle hésitait à essayer son influence sur le roi, craignant de ne pas réussir[1], et même temps par fierté et par réserve elle n’aimait pas à laisser voir la cause de son hésitation ou son peu d’influence : de là l’espèce d’indifférence et d’incertitude que M. de La Marck lui-même remarquait dans sa conduite, mais qu’il s’expliquait, connaissant le roi. « Il faut trancher le mot, ajoute M. de La Marck[2], le roi est incapable de régner, et la reine, bien secondée, peut seule suppléer à cette incapacité. Cela même ne suffirait pas ; il faudrait encore que la reine reconnût la nécessité de s’occuper des affaires avec méthode et suite ; il faudrait qu’elle se fit la loi de ne plus accorder une demi-confiance à beaucoup de gens, et qu’elle donnât en revanche sa confiance entière à celui qu’elle aurait choisi pour la seconder. » Quelques jours après[3], M. de La Marck écrit encore à M. Merey-Argenteau ces tristes et judicieuses paroles : « Il faut toujours en venir à répéter cette triste vérité : Louis XVI est incapable de régner, par l’apathie de son caractère, par cette rare résignation qu’il prend pour du courage et qui le rend presque insensible aux dangers de sa position, et enfin par cette répugnance invincible pour le travail de la pensée qui lui fait détourner toute conversation, toute réflexion sur la situation dangereuse dans laquelle sa bonté a plongé, lui et son royaume. La reine, avec de l’esprit et un courage éprouvés, laisse cependant échapper toutes les occasions qui se présentent de s’emparer des rênes du gouvernement et d’entourer le roi de gens fidèles, dévoués à la servir et à servir l’état avec elle et par elle. Si on cherche à pénétrer les causes de l’indécision et du laisser-aller qui dominent aux Tuileries, on découvre que par paresse d’esprit et peut-être aussi par l’abattement qui suit assez souvent de longs malheurs, le roi et la reine n’ont plus d’espérance que dans les hasards de l’avenir et dans l’intervention étrangère que laisse entrevoir le congrès

  1. Il y a une réponse de la reine au tribunal révolutionnaire qui semble une sorte de retour involontaire sur le peu d’efficacité des conseils qu’elle donnait au roi.
    L’ACCUSATEUR PUBLIC. — Il parait prouvé, nonobstant les dénégations que vous nous faites, que par votre influence vous faisiez faire au ci-devant roi votre époux tout ce que vous désiriez.
    L’ACCUSÉE. — Il y a loin de conseiller de faire une chose à la faire exécuter.
  2. Lettre à M. Mercy-Argenteau, 21 septembre 1791 ; t. III, p. 237 et 238.
  3. 10 octobre 1791.