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de ces choses indifférentes qui alimentent la conversation habituelle de la société. L’entretien dura plus de deux heures, sur un ton de gaieté qui était naturel à la reine, et qui prenait sa source autant dans la bonté de son cœur que dans la douce malice de son esprit. Le but de mon audience avait été presque perdu de vue ; elle cherchait à l’écarter. Dès que je lui parlais de la révolution, elle devenait sérieuse et triste ; mais, aussitôt que la conversation portait sur d’autres sujet, je retrouvais sors humeur aimable et gracieuse, et ce trait peint mieux son caractère que ce que je pourrais en dire. En effet, Marie-Antoinette, qu’on a tant accusée d’aimer à se mêler des affaires publiques, n’avait aucun goût pour elles… – Je sortis, non sans faire de nouveau les plus pénibles réflexions sur tout ce que je voyais et ce que je venais d’entendre. Il était évident que ni la reine ni le roi ne se rendaient un compte exact des dangers qui les menaçaient. Environnés depuis leur naissance et dans tous les instans de leur vie de tout ce que le respect et l’amour des hommes peut avoir de séduisant, comment, naturellement bons et confians, auraient-ils pu imaginer les horreurs dont ils devaient être victimes[1] ? » Quelle peinture à la fois piquante et touchante ! Comme M. le comte de La Marck, dans cet entretien avec la reine, a en même temps le cœur ému et l’esprit attentif et sagace ! A mesure que les événemens marchent et que les dangers deviennent plus grands, M. le comte de La Marck est chaque jour plus dévoué et plus effrayé aussi, en voyant comment la reine garde en face du danger cette imprévoyance du mal et cette répugnance aux affaires ou aux idées pénibles qui autrefois dans une femme et dans une reine heureuse étaient presque un charme, et qui deviennent chaque jour de plus grands et de plus périlleux défauts. « La reine, écrit-il au comte de Mercy-Argenteau le 30 novembre 1790[2], la reine a certainement l’esprit et la fermeté qui peuvent suffire à de grandes choses, mais il faut avouer, et vous avez pu le remarquer mieux que moi que, soit dans les affaires, soit même simplement dans la conversation, elle n’apporte pas toujours ce degré d’attention et cette suite qui sont indispensables pour apprendre à fond ce qu’on doit savoir, pour prévenir les erreurs et pour assurer le succès. »

Il y avait deux vocations dans Marie-Antoinette : la vocation d’une reine heureuse et brillante, le sort la lui a ôtée ; la vocation d’urne héroïne, la faiblesse de Louis XVI l’a empêchée. Heureuse, elle aurait embelli son bonheur et l’aurait rendu aimable par la bonté de son ame et par la grace de son esprit. Jetée dans les grandes entreprises, elle

  1. Tome Ier, p. 156-158.
  2. Tome II, p. 532.