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ne sauraient être confondus avec le but que l’art se propose. Pour produire des œuvres vivantes, pour prendre rang dans l’histoire, c’est-à-dire dans la série des mouvemens accomplis, il faut de toute nécessité représenter par soi-même quelque chose de nouveau dont le type ne se retrouve pas dans le passé, c’est-à-dire interroger la nature à son tour, après avoir pris conseil de l’antiquité sur la manière de la comprendre et de la rendre. C’est la méthode que Al. Barye a suivie en composant son Thésée ; il a profité des leçons de l’antiquité sans renoncer au droit de consulter la nature, et son œuvre, malgré les souvenirs qu’elle réveille, lui appartient tout entière.

Angélique et Roger ont fourni à M. Barye l’occasion de montrer son talent sous un aspect inattendu, sous l’aspect gracieux. Quand je dis inattendu, je n’entends pas parler des esprits éclairés, car il est bien évident que l’expression de la force n’exclut pas l’expression de la grace. Toutefois, pour la foule habituée à circonscrire le développement de l’imagination dans un cercle déterminé, le groupe d’Angélique et Roger eut tout le charme de l’imprévu. Cet ouvrage, demandé à M. Barye par le duc de Montpensier, mais demandé dans les conditions les plus larges, puisque l’artiste pouvait, en restant dans les dimensions données, choisir à son gré le sujet de son travail, est, à coup sûr, une des inventions les plus ingénieuses de l’art moderne. Roger, monté sur l’hippogriffe, tient dans ses bras la belle Angélique. Je n’ai pas besoin de rappeler cet épisode, emprunté au poème de l’Arioste. En-deçà comme au-delà des Alpes, Roland le furieux jouit depuis long-temps d’une légitime popularité, et les personnages de ce livre admirable sont familiers à toutes les mémoires. Ma tâche se borne à caractériser la conception et l’exécution. Le génie de l’Arioste, le premier poète de l’Italie après Dante, convenait merveilleusement à l’intelligence de M. Barye, et le sculpteur français, en le consultant, a trouvé dans cet entretien d’utiles leçons. Des deux parts c’est la même liberté, la même passion pour la fantaisie livrée à elle-même. Aussi voyez comme l’ébauchoir a traduit fidèlement la pensée du poète ! Angélique réalise sous la forme la plus riche la beauté qui excite le désir. Son corps harmonieux et puissant réunit tout ce qui peut charmer les yeux et séduire l’imagination. Elle rappellerait le type flamand par la beauté de la chair, si la pureté des lignes ne reportait la pensée vers les œuvres de la Grèce. Il y a en effet dans cette adorable créature quelque chose qui tient à la fois des naïades de Rubens et des filles d’Athènes dont le profil gracieux décore le temple de Minerve, mélange heureux qui nous ravit et nous enivre. L’œil ne se lasse pas de contempler ce beau corps, dont toutes les parties sont traitées avec un soin exquis. La poitrine et les hanches sont rendues avec une précision qui ne laisse rien à désirer. Les épaules et le dos offrent au regard étonné un sujet d’étude