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et en même temps un des plus fougueux champions de l’ancien régime n’a pas lancé, en 1850, moins de neuf nouveaux navires. M. Duncan, de Dunbar, aussi prompt que M. Lindsay à déclarer les nouvelles lois détestables, possédait, avant la promulgation de ces lois, une quantité de navires pouvant transporter 15,000 tonneaux. C’était fort respectable, assurément. Aujourd’hui, en pleine exécution de ces lois, et bien que la plupart des autres pays n’aient encore accordé aucune réciprocité, le même M. Duncan possède assez de bâtimens pour transporter 30,000 tonneaux. Il a doublé l’effectif de ses navires ! Étrange procédé de la part d’un homme qui craindrait sérieusement d’être ruiné par le nouveau régime ! Un autre constructeur, M. Wigram, loin d’avoir abandonné ses chantiers de la Tamise, en a fait construire de nouveaux, et en ce moment il achève un véritable monument maritime, un bâtiment jaugeant 2,500 tonneaux ! C’est qu’à travers ces documens officiels qui semblent attester la diminution des armemens ayant les ports anglais pour points de départ ou pour points d’arrivée, ils voient très bien se développer et grandir la navigation indirecte, création toute nouvelle, sortie du bill de 1849, qui ne pouvait pas exister avant le 1er janvier 1850, et qui bien qu’elle existe et prospère déjà, ne peut encore faire constater régulièrement, dans les états statistiques de la métropole, les importans résultats qu’elle produit tous les jours.

Ainsi donc le grand grief des armateurs anglais n’est pas fondé. Le mouvement maritime ne décroît pas : il ne fait que changer de théâtre, et il s’étend en se déplaçant. Les constructions navales ne diminuent pas ; tout au contraire, et ceux qui, pour l’honneur de leurs prédictions, seraient le plus intéressés à prouver une diminution, sont précisément ceux qui, par l’activité de leurs travaux, démontrent le mieux à quel point ils ont été de mauvais prophètes.

Maintenant, il faut bien se dire que la marine anglaise, toute puissante qu’elle soit dans son ensemble, et quelques progrès qu’elle soit appelée à faire désormais dans des voies qui lui étaient restées fermées jusqu’ici porte en elle certains germes de dépérissement qui n’ont rien de commun avec les nouvelles lois de navigation, et que ces lois ne sauraient détruire. Il se trouve, chose curieuse, que la branche de la marine anglaise qui dépérit est le cabotage. Or, le cabotage est précisément le seul domaine où ne pénètre pas l’action de ces lois. Le cabotage, tout le monde le sait, est resté exclusivement réservé au paillon anglais.

Et pourquoi le cabotage dépérit-il ? Par une raison bien simple : parce que les chemins de fer, en se multipliant, en échangeant à travers le territoire les produits des diverses frontières, très rapidement et très économiquement, tendent de plus en plus à faire disparaître cette navigation