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le privilège de vendre du pain d’épice et autres friandises dans Hyde-Park. L’aïeul et le père d’Anne Hicks jouirent paisiblement de cette faveur, et se contentaient de colporter leurs marchandises le long des avenues ; la troisième génération devait être plus ambitieuse, l’ambition l’a perdue. Anne Hicks demanda, en 1842, qu’on lui laissât bâtir dans le parc une petite cabane de bois, pour serrer ses pommes et ses bouteilles de gingerbeer ; puis la cabane de bois fit place à une maisonnette de briques, puis la maisonnette eut une cheminée, voire un jardin. Il y vint d’autres chalands que d’innocens babies, et l’on dut expulser Anne Hicks de son fort avant qu’elle en eût fait une véritable citadelle ; encore lui assura-t-on une indemnité de cinq shillings par semaine pendant un an. Avec le bon sang anglais qu’elle a dans les veines, Anne Hicks s’est tout de servie de cet argent pour placarder dans le parc des affiches où elle expose ses droits héréditaires et ses infortunes personnelles. Évidemment le Palais de cristal ne lui a point porté bonheur, et c’est un peu cette nouveauté qui est la cause de sa dépossession. L’Angleterre met partout son amour du droit traditionnel et cette dépossession d’un privilège séculaire, frappant même de si humbles privilégiés, a ému beaucoup de monde. La borne femme est passée lionne pour vingt-quatre heures, et il a fallu que lord Seymour, commissaire en chef des bois et forêts, dans les attributions duquel rentre la surveillance de Hyde-Park, se défendît en plein parlement d’avoir trop durement sacrifié des titres d’une antiquité respectable au désir d’améliorer les abords du moderne palais de M. Paxton ; c’est en parlement qu’il a raconté toute l’iliade dont j’offre ici l’abrégé.

Entre tous ces adversaires du Palais de cristal qui lui déclarent la guerre : pour l’honneur des vieilles mœurs, le plus curieux à voir est le brave colonel Sibthorp. Ne lui parlez pas de cette construction diabolique ; l’Angleterre entière l’aurait visitée, qu’il se garderait bien encore d’y mettre le pied de peur d’apporter à ces profanations l’encouragement de sa présence. Ce n’est pas seulement comme protectioniste ; c’est en sa qualité de bon chrétien et de libre citoyen qu’il a l’horreur du Palais de cristal. Ce palais ne s’est élevé, selon lui, qu’au préjudice du droit du peuple, auquel on a confisqué son parc ; on est soumis à l’éternel go on de la police, qui vous dit d’aller ici et d’aller là d’une manière très choquante pour les sentimens d’un Anglais ; il est enfin un vrai sujet de démoralisation et de scandale, parce qu’il provoque des infractions continuelles à la loi du dimanche, parce qu’il amène en masse dans la capitale les pauvres gens des provinces et des campagnes, qui viennent penser mal à propos le peu qu’ils ont d’argent. Explique ensuite qui pourra comment, malgré cette dépense, l’exposition universelle est encore, aux yeux du colonel Sibthorp, une cause d’appauvrissement pour la ville de Londres elle-même ! Il n’en est pas moins vrai que l’honorable orateur est en ce point-là moins seul de son avis qu’en beaucoup d’autres. Certains marchands s’étaient fait à plaisir, sur le Pactole que l’exposition devait précipiter chez eus, des illusions qui ont été bientôt démenties ; d’autres ont vu la promenade de l’exhbition opérer pendant quelque temps une diversion, pour eux assez sensible, dans l’habitude fashionable qui leur amenait par oisiveté les acheteurs du beau monde. Le parti protectioniste a exploité ces mécomptes exagérés, et ce n’est pas sa faute s’ils n’ont pas pris plus de corps ; mais, si peu qu’on sache quelle vigilance, pour ne rien dire de plus, le comité de l’exposition a menacé