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dans une rue voisine, Rosita prit sa course. – Quarante mille piastres à gagner à la prochaine loterie !… tel était le sens de ces trois mots que prononçait le vendeur de billets en regardant aux fenêtres et en jetant aux passans un coup d’œil interrogateur. L’encrier pendu à la ceinture, la plume passée derrière l’oreille, il marchait au milieu de la rue pour éviter aux pratiques la peine de traverser d’un trottoir à l’autre. Rosita ayant fait un mouvement pour se rapprocher de lui, il se pencha vers elle et lui dit à voix basse :

Niña de mi alma ! Veux-tu que je te donne le billet gagnant au même prix que les billets creux ?

— Ouais ! répliqua la jeune fille, vous allez me voler mon argent, et je parerai une demi piastre un carré de papier qui ne sera pas même bon à faire une cigarette.

— On voit bien que le Pérou est ruiné, dit le marchand de billets ; on ne trouve plus à vendre quarante mille piastres au prix de dix réaux d’Espagne ! Je n’ai rien fait aujourd’hui ; étrenne-moi, ma belle, cela me portera bonheur. On ne peut pas dire que je garde les bons numéros pour moi, puisque je suis toujours gueux… Non, non, je les donne aux jolies filles qui ont besoin d’une dot pour épouser leurs novios.

En parlant ainsi, il tendit sa liasse de billets à Rosita, qui en prit un au hasard, et il s’éloigna, criant à pleins poumons : Quarenta mil pesos ! Magiques paroles qui, traversant les airs comme une vague espérance, faisaient battre bien des coeurs.


III

Le lendemain, don Patricio, le lieutenant irlandais, et le chanoine don Gregorio revenaient ensemble d’une promenade aux ruines de Pachacamac, ce fameux temple du Soleil qui fut si long-temps le symbole de la puissance des Incas. Il en reste bien peu de chose aujourd’hui ; les tumuli qui s’élèvent dans la vallée de Mamacona comme des collines artificielles et sous lesquels ont été ensevelis les souverains du Pérou font plus d’impression sur l’ame du voyageur que les ruines dispersées du plus splendide monument dont se soient enorgueillies les deux Amériques. Sa longue robe noire retroussée jusqu’aux genoux, posé sur la selle de sa mule comme un cavalier de Cuyp, avec aisance et dignité le chanoine trottait côte à côte avec son jeune ami, et lui nommait les villages dont les clochers se montraient à travers les arbres. Don Patricio, enivré du galop de son cheval promenait ses regards ravis sur le magnifique panorama qui l’environnait. À sa droite, les Andes, dont le soleil frappait perpendiculairement les premiers contreforts, présentaient de profondes fissures toutes perdues dans l’ombre, où les perruches à longue queue s’allaient cacher en poussant