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insu pourtant, une autre image lui apparaissait aussi celle de la Limeña qu’il n’avait point vue encore, et dont il ne pouvait s’empêcher de faire un portrait assez gracieux. Enfin il chassa de son esprit les idées contradictoires qui commençaient à le troubler, et remercia cordialement don Gregorio de ses conseils. Quand ils se séparèrent, il lui serra la main en disant : — Soyez tranquille, je vous aiderai à la remettre dans la droite voie !

— Excellent jeune homme, répondit le padre, je ne doute pas de vos bonnes intentions. La seule recommandation qui me reste à vous faire, c’est de n’y pas mettre trop de zèle.

Arrivé chez lui, don Patricio abandonna les rênes de son cheval au vieux nègre qui remplissait le triple office de portier, de garçon d’écurie et même de cocher. L’hôtel dont ce vieux serviteur à peau noire gardait l’entrée appartenait à une marquise d’un âge très respectable, que son mari avait ruinée en jouant sur une carte des poignées d’or. Réduite à une mince fortune, la bonne dame louait aux étrangers la partie de son vaste hôtel qui regardait la rue. Elle était censée ne pas connaître ses locataires, et s’éloignait d’eux avec une certaine affectation. Sa vanité humiliée gardait rancune aux hôtes qui lui fournissaient de quoi vivre. Tout le jour, on la voyait assise sur un canapé, au milieu d’un immense salon garni sur deux faces d’une cloison de verre à travers laquelle se montraient de belles fleurs que becquetait éternellement un bourdonnant essaim de colibris. Sur les murs de la cour, des peintres du pays avaient barbouillé de grandes fresques, qui représentaient des paysages fantastiques, des enfilades de portiques et de colonnes, et des sujets empruntés à la vie des saints. Ce genre décorations, fort en usage à Lima, donne aux hôtels de cette ville un faux air de palais. Quand la marquise allait en visite, le vieux nègre lui donnait la main pour monter dans son coche, après quoi il enfourchait l’unique mule de l’attelage, et guidait majestueusement, par les rues de la ville des rois, son auguste maîtresse.

Le jour même où Patricio, fatigué de son excursion à Pachacamac, venait de rentrer chez lui, le noir phaéton avait endossé sa longue veste galonnée et posé un chapeau à cornes sur sa grosse tête crépue ; la noble dame, vêtue de gala, se rendait à la promenade. Les deux pieds appuyés carrément sur le brancard, mal assis sur la selle rembourrée de clous d’argent, le vieux nègre s’appliquait de son mieux à faire sortir le carrosse sans heurter les roues aux bornes du porche, quand une jeune fille, qui se tenait depuis long-temps en sentinelle, profita du moment pour entrer. Elle se glissa sous le portail, baissa la tête en passant près de la voiture pour n’être pas vue de la marquise, et s’élança vers les premières marches de l’escalier : c’était Rosita. À mesure qu’elle s’approchait de l’étage supérieur, son pas devenait plus