Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/799

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

longe queue babillaient autour d’eux dans les arbres des vergers ; des jardins bien cultivés qu’ils côtoyaient lentement s’élevaient de suaves émanations ; le parfum du citronnier en fleur se mêlait à celui de l’ananas. Vaincu par cette nature pleine de charme et de puissance, don Patricio éloigna de son esprit les réflexions chagrines qui menaçaient de le troubler. Il causait gaiement, et la tristesse qui avait un instant envahi le cœur de Rosita fit place à la joie la plus vive. Quand ils furent près de la ville, la jeune fille s’arrêta : Adieu, seigneur cavalier, dit-elle en serrant les deux mains du lieutenant Patrick. Nous devons nous séparer ici ; m’accompagner plus loin serait de votre part une faiblesse, et si je vous en priais, je serais une sotte. La Rosita sait vivre ; fiez-vous à elle, et vous verrez qu’elle a de la raison, pour une fille de quatorze ans.

En achevant ses paroles, elle rejeta son voile sur ses yeux, pressa le pas et s’éloigna sans tourner la tête en arrière.


V

Le lieutenant Patrick ne parla point à don Gregorio de cette rencontre sur la montagne : il y aurait eu dans ce récit des choses trop délicates à dire. Bien qu’il fût de ceux qui aiment à avoir le cœur libre et savent en maîtriser les élans, l’image de cette jeune fille le poursuivait dans ses promenades et dans ses études plus qu’il ne l’aurait voulu. Chaque fois qu’il sortait, la Rosita se trouvait sur son passage, et, cachée derrière son voile, lui jetait à l’oreille un adios, caballerito ; buena noches, señor don Patricio. Ces paroles affectueuses, prononcées d’une voix émue au milieu d’une ville étrangère, le faisaient tressaillir malgré lui. Il n’y répondait que par un signe de tête, mais enfin il n’était habitué, et rentrait même un peu triste quand par hasard il les avait pas entendues. — Le chanoine avait raison, pensait-il quelquefois ; il arrive dans ce pays-ci de singulières aventures ! Mais, bah ! avant quinze jours ma frégate sera au Callao, je partirai, et tout sera fini ! — La pensée de ce départ prochain lui faisait faire des réflexions sérieuses ; il se promettait d’en avertir Rosita, qui semblait l’oublier ou n’y vouloir pas croire. Puis, retenu par le vague désir de voir jusqu’où irait ce fol amour de jeune fille, il ajournait sans cesse cet adieu définitif ; les jours se passaient, et Rosita s’abandonnait à des rêves chimériques. Une seule personne, le chanoine don Gregorio, pouvait lui donner de bons conseils ; mais elle n’était ni assez prudente pour lui en demander, ni assez sage pour les suivre ; d’ailleurs, elle n’avait confié son secret à personne autre que Tia Dolorès, la duègne bileuse dont le lieutenant Patrick avait reçu d’abord le message sans comprendre. Tia Dolores écoutait avec indulgence les aveux confidentiels