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montagnes, éclairait l’un après l’autre les pics les plus élevés de la sierra, et jetait de proche en proche, sur les versans inférieurs, des flots de lumière. Des deux côtés de la route s’étendent de vastes vergers, où croissent les plus robustes orangers de toute cette partie de l’Amérique. À cette première heure de la nuit, leurs fruits, échauffés par le soleil, répandaient au loin ce parfum vivifiant, cette odeur rafraîchissante et suave que rien n’égale. Çà et là, dans la campagne, de joyeux éclats de voix se faisaient entendre ; dans cette bienheureuse vallée du Pérou, on chante au lieu de parler, on danse au lieu de marcher. La richesse a disparu, l’or est devenu rare ; mais la folie vit dans l’air et dans le cœur des habitans. Il est difficile, même aux étrangers qui ne font que passer, de n’en pas ressentir un peu les atteintes.

— Quel merveilleux climat ! s’écria don Patricio après quelques instans d’une conversation que la jeune fille s’efforçait d’animer ; quel ravissant pays… et pourtant il faudra le quitter !

— Est ce vrai que vous allez bientôt partir ? demanda Rosita.

— Oui, mon enfant, répondit le jeune lieutenant ; la frégate sera bientôt en rade du Callao : il est temps que je reprenne mon service.

— Et je ne vous reverrai plus jamais ? dit la jeune fille en fixant sur lui ses grands yeux humides de larmes. La pauvre Rosita restera ici seule, abandonnée ?

— Abandonnée ! reprit don Patricio, et votre famille, et don Gregorio qui veille sur vous ?

Rosita secoua tristement la tête. – J’ai vécu quatorze ans heureuse auprès de ma mère, tranquille et gaie comme la perruche qui se balance sur la feuille du palmier… mais ce temps là est passé ! Vous, don Patricio, vous ne pouvez pas être triste ; n’allez-vous pas revoir ceux que vous aimez ?

— Mon enfant, dit don Patricio en lui prenant la main, je n’ai risqué cette promenade avec vous que pour vous donner des avis. Écoutez-moi ; c’est la dernière fois que je vous parle, la dernière fois…

— Oh ! ne dites pas cela, interrompit la jeune fille ; ne dites pas cela !

— Je n’avais que peu de semaines à passer ici, et elles sont écoulées. Vous le saviez…

— Je le savais, mais je voulais l’oublier, reprit Rosita ; et vous, si j’étais venue un matin vous dire : Je suis riche, bien riche ; j’ai trouvé un trésor, il m’est tombé du ciel un gros héritage, et je le mets à vos pieds ; vous même, don Patricio, n’auriez-vous point oublié que vous deviez si tôt partir ?

— Enfant ! répliqua le lieutenant Patrick, à quoi bon ces rêves chimériques ? Le hasard nous a un instant réunis, et il faut maintenant