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sous la main. Quelquefois, sur certains points, la population émigre en masse. Ces peuplades errantes se partagent en groupes de mille ou cinq cents individus, et se mettent en marche sous la conduite d’un chef auquel le mandarin de la localité a délivré un certificat de détresse et un permis de mendicité. Des greniers publics, entretenus aux frais du trésor impérial, ont été établis depuis des siècles pour venir au secours du peuple dans ces affreuses années de disette ; mais cette sage précaution demeure stérile, car l’empire est désolé par un autre fléau non moins redoutable que la famine, la mauvaise administration.

L’administration chinoise a depuis long-temps atteint le dernier degré de la corruption ; les officiers turcs sont des modèles d’équité et de désintéressement auprès des mandarins du Céleste. Empire. Tout est arbitraire et vénal dans la conduite de ces magistrats lettrés ; la justice est au plus offrant, et les fonctions publiques sont l’objet d’un trafic honteux. Ces institutions littéraires dont l’appareil imposant fait encore l’admiration de l’Europe n’ont organisé que le pillage ; ces fonctionnaires qui ont passé leur vie à commenter les préceptes de Confucius n’en pressurent pas moins le peuple sans pudeur, et se voient pressurés à leur tour par les mandarins d’un ordre supérieur. Autour de ces magistrats dégradés viennent se grouper les satellites, troupe immonde, composée d’hommes de la plus basse classe, tout à la fois soldats, agens de police et bourreaux ; affreux pillards qui passent leur vie à jouer et à fumer l’opium, et n’ont pour ainsi dire d’autre moyens d’existence que le produit de leurs rapines. Le fils du ciel, le souverain maître du monde, l’empereur, vit enfermé dans son palais à quatre lieues de Pe-king, et sait à peine ce qui se passe dans ses états. L’exercice de sa suprême puissance est tout entier dans les mains de ces esclaves hypocrites qui forment autour de son trône un cercle impénétrable.

Ce despote abusé s’est long-temps cru l’arbitre de la terre, et nous avons partagé nous-mêmes une partie des illusions dont on caressait son orgueil. Il a fallu la guerre de l’opium pour faire tomber tous les voiles qui cachaient la misère et la faiblesse réelle de son empire. Sur la foi des documens officiels, on avait cru long-temps que la Chine entretenait sept cent mille hommes sous les armes, tandis qu’elle ne compte en réalité que soixante mille soldats, bandes prétoriennes entièrement composées de Tartares mantchoux et divisées en huit bannières. La majeure partie de ces régimens tartares ne quitte jamais la capitale ; le reste est dispersé dans les provinces et forme la garnison des principales villes. Ce corps d’élite renferme des hommes robustes et braves, mais qui, avec leurs arcs et leurs arquebuses à mêche, avec leur complète ignorance de la tactique militaire, n’en sont pas pour cela plus redoutables. Ces fiers guerriers mantchoux sont, en fait de stratégie,