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en un mot, d’attaquer deux navires avec une armée : comment n’eût-on pas cru au succès ?

La seule chose qu’on n’eût point prévue, c’était la promptitude du commandant Lapierre à prendre une détermination vigoureuse. Dès que ce brave officier eut reconnu les préparatifs hostiles dirigés contre la division française, il fit embosser la Gloire et la Victorieuse, et ordonna aux mandarins de faire rétrograder les jonques qui manœuvraient pour mettre nos bâtimens entre deux feux. Si ces jonques entraient dans la rade, il prendrait l’initiative des hostilités ; les jonques continuèrent à s’avancer, et le 15 avril 1847, à onze heures du matin, l’action s’engagea entre nos navires et les corvettes. Le feu des Cochinchinois était vif, mais mal dirigé ; les boulets français, au contraire, portaient tous. Bientôt les cinq corvettes étaient complètement réduites. Le peu de profondeur du mouillage avait forcé la Gloire de combattre à grande portée de canon ; la Victorieuse, petite corvette de 22 caronades, avait pu serrer l’ennemi de plus près. M. Lapierre voulut décerner à cette corvette l’honneur de la journée, et sut rendre un juste, hommage aux excellentes dispositions prises par M. de Genouilly. On s’empressa, dès que le combat fut terminé, de mettre à terre les blessés cochinchinois qui pouvaient être débarqués sans danger ; on conserva les autres à bord de la Gloire, où les soins les plus empressés leur furent prodigués. La division française n’avait plus rien à faire à Tourane ; elle s’était bornée à repousser une agression insensée. Sans chercher à pousser plus loin ses avantages, M. Lapierre s’empressa de revenir à Macao. L’impression produite en Cochinchine par cet acte de vigueur n’en fut pas moins salutaire. Partout on vantait le courage des Français pendant l’action, leur humanité après la victoire ; partout on blâmait ouvertement le roi Thieu-tri et l’on raillait sa folie[1]. Celui-ci cependant faisait élever de nouveaux forts à Tourane, construisait de nouveaux navires et lançait un édit de proscription contre les Français ; mais ces mesures étaient loin de le rassurer. Sur le faux avis qu’une division française était arrivée à Singapore, il tomba malade et mourut au bout de sept jours, le 4 novembre 1847. Son second fils lui succéda sous le nom de

  1. Voici, du reste sur cette affaire la version des Cochinchinois telle qu’on peut la lire dais un journal anglais imprimé à Singapore, le Straits-Times du 21 octobre 1848 : « Le commodore Lapierre avait reçu des mandarins l’ordre de prendre les provisions, le bois et l’eau qui lui étaient nécessaires, et de mettre sous voiles dans l’espace de trois jours. Sil s’y refusait, le roi ferait tirer sur les bâtimens français par ses navires et par ses forts. En effet, tout fut préparé pour l’attaque ; quatre jonques de guerre partirent de Hué-fou ; les forts se disposèrent à les soutenir. Le commodore prit ombrage de ces mesures, et jura qu’on ne le mettrait pas à la porte avec si peu de cérémonie. Le troisième jour, les navires du roi et les forts ouvrirent le feu sur les bâtimens français. Les forts avaient une artillerie trop faible et tiraient de trop loin. Le commodore répondit à l’instant, détruisî quatre navires et tua plus de douze cents hommes. »