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Le soulèvement de Lausanne avait éclaté le 18 décembre 1830 ; le 15 mai suivant, la constitution nouvelle fut acceptée par 13,178 citoyens sur 16,541 votans. Elle établissait le suffrage universel, n’excluant que les faillis et les assistés. Le pouvoir législatif était confié à un grand conseil élu par le peuple et renouvelé intégralement tous les cinq ans ; les séances du grand conseil devaient être publiques ; les membres du conseil d’état, pouvoir exécutif, nommés par lui, n’avaient dans son sein qu’une voix consultative. Le pouvoir judiciaire était déclaré indépendant ; le pouvoir communal demeurait soumis au contrôle du conseil d’état, et la municipalité était placée sous la dépendance des conseils communaux. Le droit de pétition, la liberté de la presse et de l’association, étaient garantis ; il n’y avait de restrictions apportées qu’à la liberté religieuse et à la liberté de l’enseignement, pour lesquelles le peuple vaudois ne semblait pas encore mûr.

Cette constitution, suffisamment libérale, changea bientôt l’aspect du canton de Vaud. Les hommes éminens qui furent placés à la tête de l’administration imprimèrent au pays une vie nouvelle. Animés d’un véritable patriotisme, ils se proposaient, non le triomphe d’un parti, mais la satisfaction des intérêts généraux, le développement de l’esprit national, le progrès moral et intellectuel du pays. Malheureusement ils ne surent pas toujours éviter les mesures révolutionnaires, ni se tenir en garde contre les illusions du pouvoir. Voulant, par exemple, réorganiser l’enseignement public, ils destituèrent en masse tous les professeurs de l’académie de Lausanne. Cet acte de brutalité radicale n’empêcha point, quelques années plus tard, le peuple de s’éloigner d’eux, en les stigmatisant du nom de doctrinaires, dès qu’ils prétendirent s’opposer aux conséquences extrêmes du principe démocratique. Cependant leurs efforts, dirigés par des vues excellentes et par un libéralisme sincère que ne rebutaient ni les obstacles ni les sacrifices, obtinrent quelques résultats très remarquables. Le canton de Vaud entra dans une voie féconde, où les améliorations se succédèrent sans relâche pendant quatorze années. Les finances, bien administrées, permirent de pousser activement les travaux publics. On vit le pays se couvrir de belles routes, admirablement entretenues et dignes d’être rangées parmi les meilleures de l’Europe. Les petites villes et les nombreux villages épars sur les bords du lac Léman furent de cette manière en contact plus direct soit avec Lausanne, soit avec Genève, et l’affluence des voyageurs contribua beaucoup à les faire prospérer ; l’agriculture perfectionnée répandit l’aisance jusque dans les moindres hameaux. Des institutions de bienfaisance furent créées, des asiles s’ouvrirent à l’indigence, au malheur, à la vieillesse, et une maison pénitentiaire, construite à Lausanne, ne tarda pas à offrir sur le continent le premier modèle de l’application du système qui, en France et en Allemagne, était encore l’objet de discussions et d’études purement théoriques.

Cet élan généreux, auquel prenaient part toutes les classes de la société, ne se renferma pas uniquement dans la sphère du progrès matériel. Le peuple vaudois, quoique voué surtout aux travaux agricoles, est doué d’une intelligence très susceptible de culture soit littéraire, soit scientifique. Dans aucun autre pays peut-être, l’instruction primaire n’est plus universellement répandue que dans le canton de Vaud. Le régime de 1830 a été pour beaucoup dans ce progrès. L’académie de Lausanne, après sa réorganisation, jeta pendant