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que saint Augustin, pour s’affranchir des doutes qui l’assiégeaient, s’est réfugié dans une foi aveugle : il croit parce qu’il ne comprend pas ; il s’agenouille devant l’autorité de l’église parce que sa raison n’a pas rencontré la certitude et l’évidence. Il dit formellement, dans son traité de la grace et du libre arbitre, qu’il faut prendre garde, en défendant la grace, de nier le libre arbitre, et pareillement, en défendant le libre arbitre, de nier la grace ; mais en réalité il ne tient pas compte de cette recommandation, dont le seul défaut est d’être inexécutable, car si Dieu choisit ceux qu’il touche et qu’il sauve sans tenir compte du mérite de leurs œuvres, que devient le libre arbitre de la race humaine ? Si la rémunération et le châtiment ne suivent pas le bien faire et le mal faire, que devient la loi morale ? Que devient la justice de Dieu ? Questions difficiles, questions obscures, et qu’il faut pourtant consentir à poser, car tout le jansénisme est dans ces questions. Et de même qu’il vaut mieux étudier la doctrine et la méthode aristotéliques dans Aristote même que dans les docteurs et commentateurs du moyen-âge, il vaut mieux étudier saint Augustin dans ses œuvres que dans son disciple Jansenius. Bien que l’évêque d’Ypres ait traité toutes les questions traitées déjà au Ve siècle par l’évêque d’Hippone, et n’ait guère apporté dans la controverse, comme contingent personnel, que la diffusion et la pesanteur de son style, sans jamais s’écarter des principes établis par son maître, il sera toujours plus prudent et plus sûr de recourir au maître lui-même pour connaître le fond de sa pensée. Or la pensée de saint Augustin, je ne crains pas de le dire, en niant la liberté humaine, ne va pas à moins qu’à nier la justice divine. C’est un acte de foi qui aboutit tout simplement à l’impiété. Et qu’on ne m’accuse pas d’exagérer la portée de sa pensée. Ou les mots dont se composent les langues humaines ont perdu leur sens naturel, ou la théorie de la grace exposée par saint Augustin ruine les fondemens de toute morale. S’il ne dépend pas de moi de bien faire ou de mal faire et si mes actions, bonnes ou mauvaises, n’entrent pour rien dans les résolutions de l’intelligence divine à mon égard, ma liberté n’est qu’un leurre, et la justice divine n’est qu’un mot. Je veux croire et je crois que l’évêque d’Hippone ne réglait pas sa conduite d’après ses théories, car il a expié par une vie austère les passions et les désordres de sa jeunesse, et la théorie de la grace n’était pas de nature à le maintenir dans l’austérité. L’aumône, le dévouement, l’enseignement assidu de la foi nouvelle, méritoires aux yeux de la raison humaine, étaient comme non avenus aux yeux de la raison divine. Je pense donc que saint Augustin trouvait au fond de sa conscience un conseiller plus sûr que la théorie de la grace, et faisait le bien avec la certitude que Dieu jugeait sa vie et lui en tiendrait compte. Ce qu’il dit du baptême pour étayer la doctrine de la grace n’est qu’une pure subtilité. Pour prouver que le mérite