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l’avoir lu, et le condamnait sur ouï-dire. Ils s’abordaient en riant et se gaussaient joyeusement de la réhabilitation de Ronsard. Or, il n’y a qu’une manière de répondre à ces quolibets, c’est que M. Sainte-Beuve, en étudiant les œuvres de Ronsard, ne s’est pas laissé emporter par l’enthousiasme, comme on se plaît à le dire. Il a recherché, il a prouvé les mérites de Ronsard ; mais il n’a pas voulu le placer sur un piédestal. Il a trouvé, parmi des ruines sans nombre, la statue du poète que ses contemporains ne craignaient pas de pincer entre Homère et Virgile ; personne, après avoir lu son livre, ne peut croire qu’il ait voulu la relever. La plupart des lecteurs sont habitués à respecter, comme parole d’Évangile, le jugement de Boileau, et ne songent pas à le discuter. Il faut pourtant reconnaître que ce jugement, sans contredite la vérité d’une façon expresse, est formulé en termes trop absolus. Sans doute Ronsard a eu le tort de méconnaître, en plus d’une occasion, le génie de notre langue et de vouloir greffer sur la tige gauloise les fruits de la Grèce et de l’Italie. Cependant, malgré cette méprise trop fréquente, il n’est pas dépourvu d’une certaine originalité. Dans les sujets gracieux, il rencontre parfois des images que l’antiquité ne dédaignerait pas : s’il ne réussit pas dans sa lutte avec Pindare, il réussit mieux dans sa lutte avec les odes voluptueuses d’Horace et d’Anacréon. Et, quand je parle d’Anacréon, je n’entends pas accepter comme authentiques les pièces connues sous le nom du poète de Téos. C’est une question délicate dont j’abandonne la solution aux érudits.

Quoi que puissent dire les esprits indolens qui s’empressent d’adopter et de défendre un jugement sans se donner la peine de le vérifier, M. Sainte-Beuve n’a pas exagéré la valeur de Ronsard ; il a signalé ses défauts en même temps que ses mérites. Il ne l’a pas placé sur la même ligne que le poète thébain. Peut-être a-t-il accordé trop d’importance à ses réformes rhythmiques ; cependant je ne voudrais pas lui reprocher le soin scrupuleux avec lequel il a traité ces questions techniques. La plupart des écrivains qui dissertent sur la versification et qui ne l’ont jamais pratiquée sont trop portés à négliger tout ce qui regarde le maniement de la rime et de la césure. M. Sainte-Beuve, agissant la pratique à la théorie, devait naturellement étudier les réformes rhythmiques de Ronsard avec une attention toute particulière. Son zèle n’a rien qui me scandalise, et je souhaiterais qu’il trouvât de nombreux imitateurs.

Avant le livre de M. Sainte-Beuve, l’histoire de notre poésie au XVIe siècle était à peine connue. Quelques rares érudits conservaient précieusement dans leurs bibliothèques les œuvres de Ronsard, Baïf et Du Bellay. Ils en parlaient entre eux comme d’un sujet interdit aux