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Les anxiétés par lesquelles je venais de passer furent oubliées dès que je vis l’intérieur du ballon redevenir transparent. Le soleil montait sur l’horizon, la chaleur augmentait peu à peu, le gaz se dilata, et le ballon s’éleva sous cette action naturelle. Le thermomètre marqua 7 degrés centigrades au-dessus de zéro, puis il revint à la même température qu’au moment de notre départ de Soissons, deux heures et demie auparavant. Enfin, à cinq heures trente-sept minutes, le ballon cessa de s’élever et resta stationnaire pendant quelques instans, puis de lui-même il commença à descendre. Le baromètre marquait alors 492 mill. Nous traversâmes un nuage : ce fut une sensation bizarre, que connaissent ceux qui ont gravi de hautes montagnes. Nous étions mouillés jusqu’aux os, quoiqu’il n’y eût pas de pluie. L’humidité condensant le gaz, nous descendîmes rapidement ; mais le lest, répandu à mesure que nous descendions, maintenait l’équilibre, et, régularisait notre mouvement. Pendant que nous nous approchions ainsi de la terre, M. Godard jeune me fit apercevoir un gros oiseau blanc, d’une espèce qui m’était inconnue. Que faisait-il perdu comme nous dans l’espace. Sans doute il planait avec confiance au-dessus de son nid, certain de ne pas perdre de vue sa couvée et de s’abattre auprès d’elle au moindre danger.

C’est dans ce moment qu’oubliant déjà le danger couru, je songeai à une troisième ascension immédiate, si, comme je le supposais, nous devions toucher le sol pour savoir au juste dans quel pays nous nous trouvions et de quel côté le vent allait nous diriger. Il est bien permis de former des projets hasardeux à qui se voit suspendu à plusieurs kilomètres au-dessus de la terre ; et c’est réellement dans cette voie que l’on peut dire : Il n’y a que le premier pas qui coûte. Au milieu de ces indécisions, nous descendîmes sur un champ de blé, près du château de Moncornet ; appartenant à M. le comte Jules de Chabrillant ; des paysans y travaillaient, ils nous reçurent avec toutes les marques de sympathie imaginables et nous examinèrent avec étonnement. Leur surprise fut grande, quand nous leur dîmes d’où nous venions ; elle augmenta en apprenant que j’étais Russe. Un Russe ! c’était pour eux presque un habitant de la lune. Nous causâmes long-temps. Je leur demandai quelque plante pour la conserver dans mon herbier en mémoire d’eux, et, comme nous remontions dans la nacelle qu’ils devaient conduire captive jusqu’à Mézières, ils arrachèrent à la hâte quelques épis et me les offrirent. Ce fût un élan général, chacun me pria de recevoir son offrande. Ce petit tableau champêtre ne manquait pas de poésie. Des douaniers, gens plus positifs, vinrent s’y mêler en même temps que le maire de la commune voisine, celle de Cliron, qui nous donna le plus obligeamment du monde tous les renseignemens nécessaires. Les douaniers ne crurent pas devoir visiter notre véhicule ;