Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/895

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

suffire à contenir l’Aigle, qui fuyait toujours, malgré la soupape ouverte, et nous entraînait après lui. Pour comble de malheur, le fond de la nacelle, se détacha en partie. La position de M. Godard jeune était terrible ; nous le distinguions cramponnés aux cordes, rudement ballotté, et presque sans point d’appui sous les pieds. Un violent coup de vent nous arracha tout à coup le ballon, qui, suivant la courbe du défilé où nous nous étions engagés, disparut à nos yeux. M. Godard jeta un cri de désespoir : Mon frère est perdu ! s’écria-t-il, et le malheureux courait au hasard. J’essayai de le suivre, mais je perdis sa trace au milieu du ravin. Ne sachant plus dans quelle direction le suivre, je m’arrêtai haletant à la porte d’une cabane, où j’attendais avec une anxiété terrible le résultat de cette catastrophe. À chaque instant, on me rapportait quelques pièces de notre matériel brisé ; mais j’étais sans nouvelles de mes malheureux compagnons. Enfin, après une heure d’une attente mortelle, un marchand, passant devant l’habitation où je m’étais arrêté, comprit à mes vêtemens en désordre, à mon attitude consternée, que je devais m’intéresser au sort des aéronautes ; il m’apprit qu’ils s’étaient rendus maîtres de leur ballon à une demi-lieue de là, et qu’ils travaillaient déjà à le dégonfler. Je courus dans la direction qui m’était indiquée, et bientôt en effet j’aperçus du haut de la montagne mes deux intrépides compagnons ; je les rejoignis, et nous-nous félicitâmes de l’heureux dénoûment de notre naufrage. M. Godard jeune m’assura qu’il n’avait pas eu beaucoup d’émotion dans cette course à la Mazeppa. Il y a évidemment des graces d’état, et celui-là a la vocation bien marquée de l’aérostatian et de du parachute.

Le désarmement du ballon terminé et abandonnant les débris de notre nacelle, nous fretâmes une charrette pour nous transporter jusqu’à Spa ; il était écrit que l’Aigle n’échapperait pas à cette humiliation. Nous avions fait certainement cent quarante lieues à vol d’oiseau en six heures et demie d’aérostation depuis notre départ de Paris, et nous-mêmes plus de trois heures pour faire une lieue jusqu’à Stavelot. Notre brave échevin nous rejoignit pendant la route ; je lui fis accepter quelques indemnités bien légitimes pour ceux de ses administrés qui avaient été plus que nous-mêmes maltraités par notre chute, et nous arrivâmes à Spa vers neuf heures du soir, devant la fontaine dédiée à Pierre-le-Grand,

Le lendemain, j’étais à Bruxelles ; le surlendemain, je regagnai Paris en chemin de fer dans un wagon spécial où Mme la princesse régnante de Valachie, venant de Bucharest, voulut bien m’offrir une place. Une heure après mon arrivée à Paris, j’aperçus de ma fenêtre l’Aigle qui reprenait le cours de ses ascensions régulières. — Que les vents et les démens lui soient propices ! me dis-je alors. Je le suivrai avec intérêt dans son vol hasardeux, je ferai surtout des vœux sincères pour le