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succès et la fortune de nos deux jeunes aéronautes ; mais, satisfait d’avoir accompli, ce que nul encore n’avait entrepris avant moi et d’avoir mené à bonne fin une ascension en trois parties, je lirai avec une curiosité plus calme les notes de mes successeurs, et je ne m’associerai plus que par la pensée à ces entreprises presque toujours gratuitement hasardeuses, à moins cependant que le génie de l’homme, toujours en progrès, ne parvienne à régulariser la navigation aérienne au point d’en faire un moyen de transport aussi sûr qu’il est rapide.

Telle était la ferme résolution que j’avais prise le jour même de mon retour à Paris ; mais il était dit que ces projets si sage ne tiendraient pas contre la première occasion qui s’offrirait à moi de tenter un nouveau voyage entre ciel et terre. Quelques semaines après ma périlleuse excursion de Paris à Spa, la fatigue d’un travail prolongé m’avait rendu nécessaire une promenade en rase campagne, et je m’étais arrêté pensif devant le parc du château de Neuilly. Tout à coup des cris confus attirèrent mon attention. Mes regards se tournèrent vers le point qu’indiquaient les gestes animés des promeneurs arrêtés près de là, et j’aperçus un ballon qui planait majestueusement à une centaine de mètres au-dessus des arbres de l’avenue. Mon cœur et mes yeux reconnurent l’Aigle, et je ne pus, je l’avoue, me défendre d’une certaine émotion en le voyant se rapprocher de moi comme par une réciproque attraction. J’entendis bientôt une voix m’appeler : c’était M. Godard, qui, m’ayant reconnu, venait m’offrir une place auprès de lui. J’hésitais à répondre, mais l’Aigle vint s’abattre à quelques pas de moi ; la tentation était trop forte : en un instant, je me trouvai assis sur le même banc où j’avais fait ma première campagne. Nous partîmes à l’aventure au milieu d’une atmosphère suffocante, sillonnée d’éclairs lointains.

La pluie commençait à tomber avec force ; et un violent orage s’annonçait. En ce moment, je sentis mes belles résolutions s’envoler comme une troupe d’oiseaux effarouchés. — Le ciel, dis-je à mon hardi pilote, nous offre un spectacle qui a manqué à notre première expédition. Allons voir de près le tonnerre que nous entendons gronder. — L’Aigle s’éleva perpendiculairement avec rapidité ; un brouillard épais nous enveloppa ; l’eau, ruisselant sur les flancs du ballon, inonda la nacelle. Je crus que nous allions être submergés. L’impression de l’humidité était très pénible ; nous passâmes dans un intervalle resté libre entre les nuages, et l’orage continua sous nos pieds. Cependant l’eau dont nos vêtemens étaient imprégnés nous faisait grelotter. Pour des gens qui viennent de braver la foudre, nous avions, mes compagnons et moi, de piteuses mines. M. Godard vit notre état, et, ouvrant au gaz une large issue, il nous fit descendre tout d’un trait. Nous revîmes la