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bouche aux défenseurs de l’ordre social. Heureusement la population vaudoise renfermait encore assez de bons élémens pour résister à un pareil dissolvant.

Les conservateurs, surpris et dispersés d’abord par l’explosion du radicalisme, commençaient cependant à se rallier ; ils sentaient la nécessité d’opposer une digue au débordement. S’ils ne pouvaient songer à ressaisir de si tôt l’influence qu’ils avaient perdue, du moins voulurent-ils faire acte d’existence et ne pas laisser croire qu’ils abandonnaient la partie. On vit paraître plusieurs journaux, rédigés avec vigueur et talent ; une académie libre fut instituée à Lausanne, puis on créa des cercles politiques, et plus tard une église indépendante ; mais il y avait bien des obstacles à vaincre : l’irritation était encore trop grande, trop soigneusement entretenue par la société patriotique, érigée en succursale du gouvernement. Le conseil d’état fit fermer les cercles, et l’église indépendante vit plus d’une fois ses ministres traqués par la gendarmerie comme des criminels. Dans la campagne, la population semblait accepter les faits accomplis ; elle ne s’apercevait guère du changement de régime et témoignait peu de sympathie pour la classe qui en souffrait le plus. Le paysan est lent à s’émouvoir, tant que ses intérêts ne sont pas en jeu. Or, le radicalisme n’osait pas toucher à l’organisation des communes, il eût craint d’y rencontrer des résistances trop fortes. Satisfait d’avoir accaparé toutes les bonnes places, il se contentait de donner l’essor à ses tendances brutales et despotiques dans le domaine de l’administration cantonale. Sauf quelques mesures fiscales, la création d’une banque et divers changemens apportés dans l’organisation judiciaire, les travaux législatifs furent assez nuls. Après avoir vainement essayé de faire une loi sur la liberté religieuse, on abandonna de nouveau cette question à l’arbitraire du conseil d’état, et bientôt la guerre du Sonderbund vint distraire l’attention.

M. Druey, député aux diètes de 1846 et de 1847, se posa en adversaire déclaré de la politique de conciliation, qui avait jusqu’alors été celle du canton de Vaud. Il fut l’un des plus ardens promoteurs de la guerre, et, lorsqu’ensuite on s’occupa de la discussion du nouveau pacte, ses efforts contribuèrent à faire adopter la clause qui légalise le despotisme fribourgeois, ainsi que celle qui garantit aux cantons le droit d’interdire les sectes dissidentes. Son ambition atteignit enfin le but qu’elle rêvait. Une fois le pacte révisé et adopté par le peuple suisse, on le nomma membre du conseil fédéral (pouvoir exécutif), et la capacité qu’il déploya dans ce nouveau poste le fit, dès la seconde année, choisir pour président de la confédération.

M. Druey possède quelques qualités précieuses pour un homme politique : une grande assiduité au travail, une promptitude d’intelligence assez remarquable, de la chaleur, de la force, quoique sans noblesse, sans élévation, sans conviction puissante ; un mépris prononcé pour l’élégance factice, joint cependant à quelque pédanterie ; un talent d’orateur qui, à défaut de bonnes raisons, n’est jamais à court d’argumens spécieux ni de saillies originales. Nul n’a mieux compris comment la popularité s’acquiert et se conserve, en laissant de côté tout scrupule pour captiver les passions de la multitude, en descendant, pour se faire des amis, jusqu’au dernier degré de l’échelle sociale. Peut-être l’avenir nous apprendra-t-il si M. Druey est capable de se transformer, si le tribun tour à tour habile et violent pourra devenir un véritable homme d’état. Sous un extérieur rude, sous des formes lourdes et un peu grossières, M. Druey cache un