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la France et l’Autriche, sous la direction morale du saint-siège. Breton de naissance. M. de Latour s’est attaché sympathiquement à l’histoire de la Lorraine, parce qu’il a remarqué, dit-il, entre cette histoire, et celle de sa province natale une profonde analogie. Suivant lui, les Lorrains comme les Bretons sont envahis et opprimés par la France, qui joue vis-à-vis d’eux, sous l’ancienne monarchie, le même rôle que la Russie joue de nos jours vis-à-vis de la Pologne. D’un côté comme de l’autre, les croyances sont sincères et profondes, et, si le paganisme révolutionnaire venait jamais à triompher, un cri fraternel parti des côtes de l’Armorique donnerait sur les bords de la Meuse, aux peuples lotharingiens, le signal de la guerre sainte.

Dans l’Alsace, les traditions de l’ancienne nationalité ne sont pas moins vitales que dans la Lorraine, cependant le goût des études historiques y est moins développé ; l’Alsatia illustrata défraie depuis long-temps les écrivains locaux. Ce ne sont pas les hommes distingués qui manquent, loin de là ; mais l’attention des esprits s’y tourne à peu près exclusivement vers la politique, les sciences d’application, l’industrie ; tout s’est borné depuis cinq ans à des opuscules de peu d’importance, dont quelques-uns appartiennent à la démocratie la plus avancée, et nous n’avons guère à citer que quelques articles de la Revue d’Alsace, et la Cathédrale de Strasbourg, de M. A. W. Strobel.

Ainsi, dans cette revue rapide qui nous a conduit des bords de la Manche au bord du Rhin, nous rencontrons dans les esprits des dispositions très diverses, et dans le nombre des publications historiques et archéologiques des différences très notables. La Flandre, l’Artois, la Picardie, se distinguent par l’ordre, la régularité de la méthode, la patience de la mise en œuvre, un parfait équilibre entre les opinions extrêmes une constante préoccupation des choses positives, et comme dans ces provinces l’on marche avec prudence, en s’appuyant avant tout sur les dates et les faits, on s’égare rarement, et l’on gagne en solidité ce qu’on perd en éclat. Dans la Champagne et l’Ile-de-France, l’esprit est déjà plus aventureux, plus littéraire, et tourné davantage à la polémique ; et tandis que la Lorraine relève d’une main chevaleresque le drapeau de sa vieille nationalité et la bannière des antiques croyances, l’Alsace marche en sens tout-à-fait inverse, et se montre souvent aussi démocratique que la Lorraine est chevaleresque. 89 et la vieille monarchie, la ligue et le protestantisme sont là pour ainsi dire en présence, et lorsqu’on voit, sous notre apparente uniformité, ces différences profondes d’aptitudes, d’opinions et d’intérêts qui séparent les provinces lors même qu’elles se touchent par leurs frontières, on comprend les tiraillemens auxquels la France est en proie depuis tant d’années, et l’on se rappelle ces mots de la Ménippée : « Quand l’un veut du soleil pour ses blés, l’autre veut de la pluie pour ses choux. »


CHARLES LOUANDRE.