Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/978

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

délicates moulures azurées ou dorées relient entre elles toutes les peintures. Au fond de la salle est une grande arcade assez profonde, pour qu’on ait pu y creuser un bassin où l’eau s’élève et retombe en pluie fine ; au-dessus du bassin, une fenêtre garnie de vitraux représentant des fleurs bleues, rouges, jaunes ou vertes, répand une faible et douce lumière : partout le sol est caché sous un tapis riche et moelleux. Le plafond, pour être en harmonie avec cet ensemble si somptueux, est divisé en compartimens ou caissons sculptés et peints de la façon la plus gracieuse.

Au milieu de cette salle ainsi décorée, et tourné du côté de l’ouverture, s’élève le takht ou trône. Il est impossible d’imaginer rien de plus original et de plus élégant tout à la fois que ce trône. Il est tout entier en albâtre, et consiste en une grande table à l’extrémité de laquelle est une partie élevée où s’assied le roi. On y étale des coussins en brocart d’or, retenus par une espèce de dossier sculpté que supportent deux petites colonnettes. Cette estrade est entourée d’une galerie ornée de sculptures et surmontée de statuettes. On monte à cette galerie, haute environ d’un mètre, par deux marches qui semblent appuyées sur le dos de deux lions couchés, et qui sont flanquées de deux sphinx. Les autres parties de l’estrade royale ont pour points d’appui des colonnes au centre et sur les côtés des lions assis, ou des cariatides qui représentent des pichketmèths, c’est-à-dire des pages en costume de harem. Toutes les parties de ce trône sont en albâtre rehaussé par des ornemens dorés : c’est là qu’aux grandes fêtes le châh vient s’asseoir dans toute la majesté de sa pompe royale, et se faire voir à ses courtisans ainsi qu’aux spectateurs privilégiés qui obtiennent la faveur de pénétrer dans l’enceinte voisine du takht-i-khânèh. Lors de ces cérémonies, le roi est seul dans la salle du trône ; personne ne peut se tenir près de lui : il doit y apparaître comme dans une sphère différente de celle des mortels. L’air qu’il respire doit être pur de toute émanation humaine. Dans cet isolement, et grace à l’entourage habilement disposé et fantastique au milieu duquel on l’entrevoit, le châh semble, aux yeux de ses sujets, un être supérieur à eux. L’imagination persane, prompte à s’exalter, croit voir un signe céleste dans l’auréole factice dont s’entoure le souverain, et une religieuse terreur se mêle au respect qu’inspire la personne royale.

Les autres parties de la demeure du châh sont interdites. Rarement les premières portes s’ouvrent pour quelques familiers du monarque ou devant quelques personnages favorisés qu’on daigne admettre auprès du soleil qui éclaire le monde, du pôle de l’univers, de l’étoile radieuse qui brille sur les destinées de la Perse. Dans le quartier réservé et inabordable du sérail sont les appartemens des femmes, des enfans et des esclaves de tout genre qui peuplent cette espèce de petite ville royale. Méhémed-Châh, qui régnait encore au moment de notre pas-